L’expansion de l’Europe du XVe au XXe siècle est l’un des événements qui aura le plus de conséquences dans l’histoire de l’humanité.
Elle va modifier en profondeur le destin de l’Europe et de l’Afrique, imposer sur la scène mondiale un continent jusqu’alors ignoré des Occidentaux, l’Amérique, et entraîner dans son sillage la destruction d’un grand nombre de sociétés. En quatre siècles, elle va répandre progressivement sur toute la surface du globe les systèmes de pensée et les modes de vie et de production occidentaux, accélérant la « mondialisation ».
À l’aube du XVIe siècle, quelque chose de nouveau se produit en Europe traversée par une effervescence stimulante sur tous les plans.
Débuts de l’humanisme de la Renaissance qui ouvre de nouveaux horizons, Réforme protestante (Calvin, Luther) qui remet en cause la toute-puissance de l’Église catholique, invention de l’imprimerie par Gutenberg en 1450 qui va aider à la diffusion des savoirs et des techniques… Cet essor général de la pensée est soutenu par une reprise des activités économiques et une relative stabilité politique.
François 1er en France, la Reconquista dans la péninsule ibérique, les Médicis en Italie,… Un peu partout en Europe, l’État accroît son autorité sous l’impulsion de grands monarques et favorise l’émergence de centres urbains où prospère une bourgeoisie marchande entreprenante.
Ces phénomènes s’accompagnent d’un essor démographique sans précédent. Après les grandes épidémies de Peste qui ont ravagé l’Europe au Moyen-Âge, à l’image de Marseille, l’Europe se repeuple.
Parallèlement, un événement politique majeur se produit : les Turcs prennent la ville de Constantinople (ancienne Byzance, et actuelle Istanbul) en 1453 et y fondent la capitale de leur empire. Ils vont dominer le bassin méditerranéen oriental jusqu’à la fin du XVIe siècle, contrôlant d’une part l’accès à Jérusalem (ville sainte des chrétiens, dont la « libération » a servi de prétexte aux nombreuses croisades menées aux siècles précédents), mais aussi et surtout, la route des « Indes », considérée alors comme un réservoir de richesses et de denrées précieuses incontournables : or, épices, étoffes….
Les Occidentaux vont dès lors s’employer à chercher d’autres voies pour contourner le monopole ottoman et rejoindre les Indes.
Première idée pour rejoindre les Inde : contourner l’Afrique par le Sud. Les Portugais seront les premiers à entreprendre des voyages maritimes le long des côtes africaines.
Pourquoi le Portugal ? D’une part, il bénéficie d’une situation géographique privilégiée : longue façade atlantique et proximité géographique avec l’Afrique du Nord qui lui a donné l’occasion d’établir des liens avec les marchands arabes. D’autre part, peuple de marins, il dispose d’une flotte maritime développée par une importante bourgeoisie d’armateurs. Enfin, porté par la Reconquista, il a entrepris une offensive contre les musulmans vers le sud, contre le Maroc et ses positions (conquête de Madère en 1425 et des Açores en 1427).
L’invention de la caravelle* en 1440, un bateau de petit tonnage, beaucoup plus maniable grâce à sa voilure triangulaire, et celle de l’astrolabe, emprunté aux Arabes, un instrument qui permet de calculer la latitude d’un navire en pleine mer, encouragent les marins à s’éloigner des côtes et à entreprendre de plus longs voyages.
Les Portugais explorent les côtes africaines vers le sud pendant toute la deuxième moitié du XVe siècle, poussant leurs explorations jusqu’aux côtes de l’actuel Angola. Ils y établissent des comptoirs pour commercer avec les rois et les peuplades locales. Or et esclaves… ils découvrent le cœur de ce qui faisait, avant eux, la richesse des commerçants arabes et détournent à leur profit le commerce de l’or.
En 1455, le pape reconnaît la légitimité des conquêtes portugaises et les autorise à réduire en servitude tous les peuples païens qu’ils peuvent soumettre.
Ils multiplient et fortifient leurs positions le long des côtes, ce qui facilitera plus tard l’internationalisation de la traite. La traite d’esclaves préexistait en Afrique avant l’arrivée des Portugais (Arabes, Chinois et Malais s’y étaient déjà implantés), mais jusqu’à présent, les esclaves transitaient par voie de terre jusqu’en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Inde. Un trafic connu sous le nom de « traite transsaharienne ». Les Portugais seront les premiers à ouvrir une voie maritime, qui présentera en plus « l’avantage », pour les Européens, d’établir un lien direct vers l’Europe et l’Asie.
Dans un premier temps, ce commerce d’esclaves alimente principalement les besoins des grandes familles d’Espagne et du Portugal où l’esclavage – survivance méditerranéenne – perdure pour les travaux domestiques et les travaux dans les champs. Ce trafic alimente aussi les besoins en main d’œuvre des exploitations agricoles créées dans les îles de l’Atlantique Nord récemment découvertes et colonisées par les Portugais (Açores, Madère, Sao Tomé, îles du Cap Vert) et les Espagnols (îles Canaries). Durant la dernière décennie du XVe siècle, ce trafic concerne 3000 esclaves par an. Il y a transfert des techniques et des systèmes de plantation de l’Est vers l’Ouest.
Les Portugais poursuivent leurs explorations vers le sud. En 1488, Bartolomeu Dias franchit le Cap de Bonne-Espérance, et en 1498, Vasco de Gama découvre le chemin maritime pour l’Inde. Une nouvelle route maritime est ouverte, mais elle est longue et dangereuse et ne concurrencera le monopole musulman qu’à partir de la fin du XVIe siècle. Dans la foulée, en 1500, Pedro Alvarez Cabral, qui a entrepris le même voyage, découvre les côtes du Brésil.
Les Portugais ne pénétreront pas l’intérieur des terres du Brésil, contrairement à ce que feront plus tard les Espagnols en Amérique du Sud. Ils y installeront d’abord des forts et des comptoirs commerciaux et, le climat aidant, des exploitations agricoles le long des côtes pour y cultiver la canne à sucre et le café. En revanche, le Brésil deviendra, avec le temps, la destination la plus importante du trafic d’esclaves en provenance d’Afrique.
Ces positions feront néanmoins du Portugal l’une des toutes premières puissances coloniales et lui assureront richesse et prospérité pendant près de deux siècles. Le XVe sera baptisé « siècle portugais ».
* Caravelle, astrolabe et plus tard compas:
Des évolutions scientifiques majeures qui ont rendu possible la traversée de l’Atlantique.
Inventée en 1440, la caravelle, un bateau de plus petit tonnage, beaucoup plus maniable grâce à sa voilure triangulaire. L’astrolabe et le compas : des instruments capable de calculer avec plus de précision la position d’un navire en pleine mer.
Deuxième idée : rejoindre les Indes par l’ouest. À l’époque, on commence à entrevoir que la Terre est sphérique. Après avoir échoué auprès du roi du Portugal (qui concentre ses efforts sur « la route du sud »), Christophe Colomb convainc la reine d’Espagne de financer son expédition.
L’Espagne est alors en pleine Reconquista. Après 400 ans de domination musulmane et de luttes, les forces chrétiennes achèvent de repousser les musulmans en Afrique (prise de Grenade en janvier 1492) et forcent les juifs à se convertir au catholicisme. Renforcé, le pouvoir royal catholique n’est pas insensible à l’idée d’aller porter « la bonne nouvelle » jusqu’en Chine. Il a également besoin de s’affirmer face à ses rivaux européens, le Portugal en tête.
En août 1492, Colomb part à la tête de trois navires à la conquête de la Mer Océane. Deux mois plus tard, il accoste aux îles Caraïbes : San Salvador, Cuba (qu’il baptise Hispaniola) et Haïti. Il ne sait pas encore qu’il vient d’atteindre l’Amérique. Plusieurs expéditions suivront, qui vont permettre aux Espagnols de se constituer un des premiers grands empires coloniaux de l’histoire moderne.
En 1494, le traité de Tordesillas, signé entre l’Espagne et le Portugal sous l’égide du pape, établit le partage des terres amenées à être découvertes. Aux Portugais toutes les terres situées à l’est du 50e méridien de longitude ouest, aux Espagnols toutes les terres situés à l’ouest. C’est en vertu de ce traité que le Brésil reviendra aux Portugais et que les Espagnols ne s’aventureront pas sur les côtes africaines et ne tarderont pas à lancer leurs offensives sur le continent américain depuis Cuba, en prenant pied en Amérique centrale.
Contrairement aux Portugais qui se déploient lentement sur les côtes du Brésil (vaste étendue au climat tropical humide difficilement pénétrable), les Espagnols imposent très rapidement leur présence dans les îles des Caraïbes. Ils fondent des villes, des plantations agricoles et des exploitations minières dans lesquelles ils emploient de force les Indiens pour surseoir aux besoins de main-d’œuvre. Grâce à une forte centralisation administrative et à un régime d’exploitation – les encomiendas – hérité du servage médiéval, ils s’assurent la domination des territoires conquis et orientent leurs efforts vers la recherche d’or.
Vers 1520, l’exploitation des mines des îles Caraïbes s’essouffle. Les Espagnols décident d’entreprendre la conquête du continent, attirés par les immenses richesses pressenties lors des premiers contacts établis sur le continent. Les « conquistadores » s’enfoncent en Amérique centrale. L’un deux, Cortes, découvre la civilisation aztèque et prend la ville de Mexico en 1521. Pizarro découvre, au sud, le Pérou et la civilisation inca en 1526. Une expédition atteint la Californie en 1536, le Paraguay en 1537.
Titulaires d’une licence assortie de privilèges sur les territoires conquis délivrée par la royauté, les conquistadores prennent position sur tout le continent sud-américain, Brésil excepté, en moins d’un quart de siècle. La recherche de gisements aurifères est au cœur de leurs motivations. Les richesses et les trésors accumulés par les Incas et les Aztèques ne témoignent-elles pas de la présence d’immenses richesses ? Ainsi naîtra le mythe de l’Eldorado, qui poussera certains conquistadores aux confins de ces terres.
L’Espagne ne tardera pas à récupérer la tutelle pleine et entière de ces territoires, en créant, dès 1524, le « Conseil des Indes » pour les administrer. Elle impose sa présence en développant le même système qu’elle a éprouvé dans les îles : très forte centralisation et contrôle bureaucratique, création de routes et de bâtiments administratifs, implantation systématique de plantations agricoles et exploitation des mines (or, argent) dans lesquelles elle fait travailler de force les populations indigènes soumises. Un système qui perdurera pendant près de trois siècles et qui assurera à l’Espagne le contrôle du plus vaste territoire jamais conquis par une puissance occidentale.
La conquête espagnole en Amérique du Sud fut l’œuvre d’un tout petit nombre de personnes, à peine 5000 pour l’ensemble, comparé au nombre des populations et à l’étendue des territoires soumis. Une conquête perçue comme d’autant plus fulgurante qu’ils avaient face à eux des civilisations établies depuis des siècles (Aztèques, Incas), fortement structurées et organisées.
Face à ces populations, les conquistadores avaient pour eux la supériorité de l’armement : armes à feu et armes blanches contre armes en bois et en pierre, et le cheval qui leur assurait une grande mobilité et un effet de surprise.
Ils avaient aussi la motivation : beaucoup d’entre eux venaient des régions pauvres de l’Espagne et opéraient pour leur propre compte dans l’espoir de richesses.
Certains historiens avancent l’idée que les civilisations aztèque et inca étaient en crise, affaiblies avant l’arrivée des Espagnols sur leurs terres, et que la structure centralisatrice de ces empires a facilité leur prise par les conquistadores qui n’ont eu qu’à vaincre les classes dirigeantes pour soumettre les peuples.
Les récits qui nous sont parvenus de ces conquêtes, la trace qu’ils ont laissée dans les mémoires, présentent tantôt les conquistadores comme des soudards assoiffés d’or et de sang, tantôt comme des vaillants surmontant les plus pénibles et difficiles épreuves. Une chose se dégage cependant : les conquistadores ont opéré sans aucun scrupule, avec une grande violence et le plus profond mépris pour les populations qu’ils soumettaient, jouant les factions indiennes les unes contre les autres pour faciliter leurs manœuvres et leurs avancées.
Un élément important doit être mentionné ici : la hiérarchie de l’Église catholique apporta sa caution morale et religieuse à la conquête par la violence du Nouveau Monde en la qualifiant de «guerre juste». Au XVIe siècle, l’Église catholique jouit encore d’une très forte autorité sur les consciences, surtout en Espagne, pays de la Reconquista où a fortement sévi l’Inquisition. Affaiblie par la réforme protestante qui se développe en Europe du Nord, l’Église voit dans la conquête de l’Amérique l’occasion d’étendre sa sphère d’influence, de renforcer ses positions et d’affirmer sa primauté. Christophe Colomb lui-même, croyant fervent, espérait grâce ses expéditions assurer à l’Occident un passage vers « la Mer des Indes » pour rejoindre Jérusalem.
En 1513, un théologien espagnol rédige un texte, « le Requerimiento », que les conquérants espagnols sont chargés de lire aux Indiens vaincus. Ce texte – lu en espagnol à des Indiens qui ne comprennent pas cette langue – leur propose d’accepter de se soumettre et de se convertir ou bien d’être réduits en esclavage. Un procédé que l’on peut qualifier d’ignoble – malgré les réserves que tout historien se doit d’avoir sur les faits qu’il rapporte – et qui sera d’ailleurs, plus tard, dénoncé et combattu par Bartolomé de Las Casas, le premier prêtre ordonné au Nouveau Monde.
Comment s’étonner dans ces conditions que « l’Indien », dont on se demande s’il est un être humain – à souligner cependant que les Indiens se poseront la même question à propos des conquistadores -, soit considéré comme un être sans âme à soumettre à tout prix, et que son sort ait peu importé, voire pas du tout, aux conquérants ?
Aux Antilles, les populations « caraïbes » appelées « indigènes » ne sont guère mieux traitées que leurs congénères du continent. Eux aussi sont enrôlés de force pour travailler dans les encomiendas, ces exploitations agricoles et minières accordées aux colons par la Couronne d’Espagne. Les Indiens sont à peine regardés comme des hommes ou alors des hommes de la plus basse condition (proche de celle des bêtes). L’Indien est avant tout un « sauvage ». «Alors nous vîmes des gens nus […] très dépourvus de tout ; ils n’ont pas de fer. Je crois qu’ils se feraient aisément chrétiens, car il m’a paru qu’ils n’étaient d’aucune religion. ». Christophe Colomb lui-même, qui a consigné dans son journal de bord en 1492 des premières impressions plutôt « positives » sur ces hommes « bien faits, harmonieux », se montrera quelques années plus tard très dur envers eux, attestant par là même de l’esprit ambiant qui dominait à l’époque.
On peut toutefois noter une variante intéressante de la figure de ce « sauvage » des Caraïbes, qui s’est incrustée dans la mémoire collective des Occidentaux et qui continue de vivre aujourd’hui comme un mythe, mieux comme un mot… : la figure de l’anthropophage, le mangeur de chair humaine, que l’on appelle communément « cannibale ». Cannibale serait une déformation du mot « caribal », « caribe », mot désignant les Caraïbes. À l’origine de cette figure, les rites d’une tribu particulière des Caraïbes qui faisait de ces moments de « partage » de la chair des morts, des moments d’intense communion sociale et de lien avec les ancêtres. Il est curieux que des hommes de culture chrétienne, appelés à « manger le corps du Christ et à boire son sang » tous les dimanches à l’église (rite de l’eucharistie), ne se soient pas interrogés plus avant sur le sens profond des actes de ces peuplades, même si certains, tel Las Casas, firent eux-mêmes ce rapprochement, voire en tirèrent argument pour faire comprendre aux Castillans de la profondeur de la religiosité des Indiens. Force est de constater que l’image du cannibale a été largement répandue pour démontrer la prétendue sauvagerie des Indiens, inspirer la peur et justifier le sort qu’on leur réservait.
La conquête laisse peu à peu la place à une logique d’expropriation et d’asservissement dans les contrées colonisées.
Le Portugal préfère d’abord développer des comptoirs commerciaux le long des côtes du Brésil. Ce n’est que vers la moitié du XVIe siècle, alors qu’il perd peu à peu le contrôle de la route des Indes qu’il a tracée vers le sud, qu’il investira cette colonie pour en faire le premier producteur de canne à sucre au monde. Son expérience des plantations dans les îles de l’Atlantique Nord et la maîtrise de la traite des esclaves et du commerce mondial des épices vont faciliter cette entreprise. D’autant que le climat du Brésil y est très favorable.
Inversement, l’Espagne a, dès le début, opté pour une implantation durable sur les territoires conquis. Elle fait construire par les populations soumises des bâtiments administratifs, des maisons, des églises, des routes… pour maîtriser le territoire, qu’elle s’emploie à contrôler bureaucratiquement pour prélever sa part des bénéfices.
Elle accorde à ses colons le droit de créer des encomiedas, des exploitations minières (or, argent) ou agricoles qui fonctionnent sur le principe médiéval du servage, et dans lesquelles sont enrôlés de force les Indiens. Aux Antilles et sur les côtes, le climat est favorable à la culture de la canne à sucre, produit de plus en plus demandé en Europe.
Ainsi se développe, dans le Nouveau Monde, la plantation vouée à la monoculture d’exportation ; sucre, tabac, et plus tard coton ou indigo vont assurer le développement de ces contrées. Une logique économique qui s’accompagne fréquemment de mauvais traitements infligés aux Indiens, forcés de travailler dans les champs, les mines, à la construction des édifices et à qui on impose le mode de vie sédentaire et agricole importé d’Europe. Le souci de rentabilité domine et les colons témoignent de très peu de considération pour les indigènes.
Très vite, la population indienne, maltraitée et frappée par les maladies importées – malgré eux – par les Européens, fuit, se révolte ou meurt. Pour surseoir aux besoins de main-d’œuvre, le recours à l’esclavage se généralise. On soumet d’abord les Caraïbes, récalcitrantes, et on commence à faire venir des esclaves d’Afrique dès 1510.
1533 : autorisation est donnée par le roi du Portugal Jean III de naviguer directement d’Afrique en Amérique pour y amener des esclaves.
1538 : les importations débutent en nombre au Brésil car les Indiens meurent de maladie.
Nous ne saurons jamais avec certitude de combien était la population de l’Amérique avant l’arrivée des Européens, mais on estime qu’à la fin du XVIe siècle, elle avoisine les 10 millions. Et qu’elle a été, selon les pires estimations, décimée aux 4/5.
Pourtant, dès 1511, les maltraitances infligées aux Indiens soulèvent l’indignation de certains religieux installés aux îles, dont Antonio de Montesinos. Les lois de Burgos, promulguées en 1513, forment un premier corpus légal de protection des Indiens. Mais il faudra attendre la longue lutte d’un Bartolomé de Las Casas pour qu’ils soient reconnus comme des êtres humains, à l’issue de la fameuse controverse de Valladolid (1) (août 1550).
Bartolemeu de Las Casas milite pour la suppression des encomiedas. Ancien colon ordonné prêtre, il juge inhumaines et contraires aux principes du christianisme les conditions d’exploitation des Indiens. Contre lui, un autre théologien, Sepulvéda, pour qui la domination coloniale est un devoir, et l’esclavage le statut « naturel » des indigènes. Sepulvéda reprend à son compte les arguments d’Aristote et fait de l’Indien un être grossier, inférieur par nature, qu’il faut christianiser. Et quel meilleur moyen d’assurer à ces « sauvages » le salut que de leur enseigner la religion chrétienne dans les encomiendas ?
Les théologiens réunis pour statuer sur ce différend donneront raison à de Las Casas. Des positions qui n’empêcheront pas, hélas, la poursuite de l’exploitation intensive du Nouveau Monde, et encore moins la généralisation de l’esclavage des Noirs, qui s’intensifiera considérablement par la suite, notamment au XVIIIe siècle, avec « l’internationalisation de la traite ».
Comme l’avait dit Adam Smith en 1776 : « La découverte de l’Amérique […] a certainement constitué une contribution des plus importantes à la situation de l’Europe. Elle a ouvert de nouveaux marchés inépuisables, ce qui a suscité un accroissement énorme des forces de production, ainsi que des revenus et richesses »
in Noam Chomsky, l’An 501, La conquête continue, OP. CIT., p.12
Le traité de Tordesillas (1494) signé entre le Portugal et l’Espagne – qui départage l’Atlantique en deux régions de part et d’autre du 50e méridien ouest : à l’est, le Portugal, à l’ouest, l’Espagne – apparaît dès les débuts de la colonisation comme un révélateur des conceptions qui domineront ensuite le monde : le droit que s’attribuent les puissances de se partager unilatéralement le monde, sans se soucier du reste du monde.
Ce traité va donner naissance à la fondation des deux premiers grands empires coloniaux de l’histoire moderne (Portugal et Espagne), mais il n’est pas accepté et ne sera pas respecté par les autres puissances européennes. Comme le résume François 1er : «Le soleil luit pour moi comme pour les autres, et je voudrais bien voir l’article du testament d’Adam qui m’exclut du partage.»
Les pays disposant d’une façade atlantique, d’une flotte maritime et d’importants capitaux privés, se lancent à leur tour dans la conquête. La France, la Grande-Bretagne, et la Hollande vont Le traité de Tordesillas et investir les territoires restants (Amérique du Nord principalement à la suite de la découverte de Terre-Neuve par J. Cabot en 1497) et tenter de s’imposer dans les positions portugaises et espagnoles, ce qui occasionnera de nombreux conflits, rivalités et guerres entre États au cours des siècles qui suivront.
Peu à peu, le Nouveau Monde échappe au contrôle exclusif de la domination hispanique et portugaise. Vers 1650, tout le continent américain, du nord au sud, aura été appréhendé et réparti entre les grandes puissances européennes du moment. Ce qui ne les empêchera pas de s’affronter jusqu’à la fin du XVIIIe siècle sur terre et sur mer, pour s’assurer le contrôle des voies maritimes, des ports, des terres conquises. Néanmoins, l’Espagne, grâce à la mise sous tutelle du Portugal entre 1580 et 1640, s’affirmera comme la plus grande puissance du moment.
Les Anglais s’affirmeront, avec le temps, comme les principaux rivaux des Espagnols sur les routes maritimes de l’Atlantique. Ils mettent un pied aux Caraïbes en 1609, aux Bermudes, puis à la Barbade (1627) où ils développent la culture du tabac. Ils prennent surtout position sur les côtes d’Amérique du Nord à partir de 1607 (Jamestown en Virginie), où une majorité d’Anglais débarqueront, notamment pour fuir les persécutions religieuses en Europe. La progression des colons anglais sera d’autant plus facile qu’ils n’auront à affronter que des peuples semi-nomades dispersés sur un très large territoire. En 1620 : 12 autres colonies anglaises ont été établies sur les côtes nord-américaines (Virginie, New York, Delaware,…), qui formeront près de 150 ans plus tard le noyau dur des futurs États-Unis (en 1776). Les États du Sud seront marqués par la culture du coton où se développeront de grandes plantations esclavagistes.
La France ne participe pas aux « grandes découvertes » : manque d’audace de sa bourgeoisie marchande, insuffisance de sa marine, population rurale très attachée à la terre à 90 %, et surtout, persistance des guerres de religion tout au long du XVIe siècle (entre catholiques et huguenots, Saint Barthélemy en 1548) qui l’affaiblissent considérablement.
Ce qui ne l’empêchera pas, malgré tout, de prendre possession du Canada en 1534 (Jacques Cartier y fonde la ville de Québec en 1608, puis la ville de Montréal en 1642), d’occuper la Louisiane, et de prendre par la force, entre 1635 et 1642, les îles des Caraïbes, Saint-Domingue, la Martinique et la Guadeloupe.
Pays de commerçants, longtemps sous domination espagnole, la Hollande s’affranchit de la tutelle de L’Espagne en 1609. Elle tente de prendre possession du Brésil mais elle est refoulée.
En deux siècles et demi, l’organisation du monde va être profondément bouleversée par l’installation des grandes puissances occidentales en Amérique, en Asie, en Océanie et en Afrique…
L’Europe, à la fin du XIIIe siècle, est devenue avide de produits exotiques comme la soie, les épices, le poivre, les cotonnades et l’or qui transitent par Venise.
L’irruption des Portugais dans l’océan Indien en 1498 va altérer cette organisation. Pendant un siècle, ils vont contrôler le marché avec l’Asie. Au XVIe siècle, les autres puissances maritimes européennes interviennent et créent des compagnies des Indes, dont les Hollandais ont inventé la formule, pour conduire les échanges avec l’Asie. Elles ont le monopole des échanges.
En France, Colbert crée en 1664 la Compagnie française des Indes orientales qu’il pense d’abord établir à Fort-Dauphin (Madagascar), mais c’est à Poudouchery (ou Pondichéry, en Inde) que les Français s’installent définitivement en juin 1686. Dans le même mouvement, les « colonies d’Amérique » ont été rattachées au secrétariat d’État à la Marine en 1669. L’activité de la compagnie est par conséquent inséparable d’un début de « politique de colonisation ». Ainsi, Dupleix, gouverneur des établissements français de l’Inde au milieu du XVIIIe siècle, soutient systématiquement une politique d’intervention dans les affaires intérieures du pays.
La traite des Africains existe depuis l’Antiquité. Les traites intra-africaines et orientales ont précédé les traites négrières coloniales. Celles-ci, qui prennent forme dès le début du XVe siècle, vont cependant profondément bouleverser le monde moderne et laisser des héritages complexes dont les traces sont toujours présentes. Bientôt, toutes les grandes puissances européennes s’engagent dans le commerce d’êtres humains.
La France crée, en 1635, la Compagnie des îles d’Amérique pour gérer ses colonies aux Caraïbes — la France est installée en Guadeloupe et en Martinique depuis 1635, et à Saint-Domingue à partir de 1642. Cette compagnie passe accord avec un marchand rouennais pour livrer 60 Africains à la Guadeloupe chaque année. Dès 1670, les négriers français traitent officiellement 1 000 Africains par an, auxquels il faut ajouter la traite illégale.
De La Rochelle d’abord, puis de Saint-Malo, Bordeaux, Dieppe, Honfleur, Rouen et Nantes, partent des bateaux négriers. Pour la France, les historiens estiment à 4 200 les voyages négriers et à plus de 1 250 000 les Africains déportés vers les colonies. Moins développée, la traite négrière française dans l’océan Indien — la France s’est installée à l’île Bourbon en 1674 et à l’île Maurice en 1715 — se poursuivra toutefois de manière illégale bien après l’abolition de la traite (1815). La « racialisation » de l’esclavage affecte le vocabulaire de la langue française où, dès la fin du XVIIe siècle, « nègre » et « esclave » deviennent des synonymes.
Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès, La colonisation française, édité chez Milan, collection les Essentiels, Toulouse, 2007.
La colonisation est une occupation territoriale, qui instaure une dépendance du pays occupé. La colonisation est d’abord une entreprise d’accompagnement économique qui établit une domination sous les aspects économiques, religieux, politiques et culturels, qui entraîne à la fois une destruction des modes de vie antérieurs et une construction de nouveaux modes de production, mais toujours au profit du colonisateur.
Bartolomé de Las Casas (Séville, 14741– Madrid, 1566), est un prêtre dominicain espagnol, célèbre pour avoir dénoncé les pratiques des colons espagnols et avoir défendu les droits des Indigènes en Amérique.
Impraticable dans les faits (s’il n’y a pas d’interprète, par exemple), le texte donne lieu à beaucoup de critiques, dès sa première tentative d’application en 1514 (par Pedrarias Dávila à Panama), dans la Suma de Geografía du Bachelier Fernández de Enciso (1519), soit quelques années à peine après la rédaction du texte. Il rapporte dans une anecdote qu’après lui avoir lu le Requerimiento, un cacique du Cenú lui répond que le pape devait être fou et le roi d’Espagne ivre pour céder ce qui ne leur appartenait pas.
Montaigne en parle dans ses Essais en ces termes :
« En costoyant la mer en quête de leurs mines, aucuns espagnols prirent terre en une contrée fertile et plaisante, fort habitée, et firent à ce peuple leur remontrance accoutumée : Qu’ils étaient gens paisibles, venants de lointains voyages, envoyez de la part du Roy de Castille, le plus grand prince de la terre habitable, auquel le Pape, représentant Dieu en terre, avait donné la principauté de toutes les Indes ; que, s’ils voulaient luy estre tributaires, ils seraient très bénignement traictez; leur demandait des vivres pour leur nourriture et de l’or pour les besoins de quelque medecine ; leur remontroient au demeurant la créance d’un seul Dieu et la vérité de notre religion, laquelle ils leur conseilloient d’accepter, y adjoutans quelques menaces ».
Bartolomé de las Casas dit du Requerimiento :
« C’est se moquer de la vérité et de la justice, et c’est une grande insulte à notre foi chrétienne, à la piété et à la charité de Jésus-Christ, et cela n’a aucune valeur juridique »
(sources Wikipedia)
Ahmed Ibn Majid (né en 1432 – ?) était un poète, un navigateur et un cartographe arabe, né en 1432 dans la région de Julphar, connue aujourd’hui sous le nom de Ras el Khaïmah. Il a été élevé dans une illustre famille de marins et avait la réputation d’être un expert de l’océan Indien. Il était si célèbre qu’il était considéré comme le premier marin arabe. (Sources : Wikipédia)
L’Empire Ottoman règne sur toute la Méditerranée orientale, puis occidentale grâce à sa force militaire et sa puissante administration. Contrôle des voies maritimes et des voies marchandes, développement des arts…