La colonisation de l’Afrique

Le jeu des grandes puissances

Au début des années 1880, le Congo est au cœur de vives tensions entre la France, le Portugal, l’Allemagne et l’Angleterre. La course aux derniers « espaces vierges » est lancée. En 1884, le Portugal et l’Angleterre — qui craignent la poussée de la France vers le Congo — signent un traité stipulant l’attribution au Portugal des deux rives du fleuve Congo jusqu’à Noki. Cet accord déclenche de violentes réactions — hollandaises, françaises, allemandes — centrées sur la promotion de la « liberté du commerce » mise en péril par le contrôle portugais des rives du fleuve. L’Association internationale du Congo (AIC), organisme régi par le roi belge Léopold II et notamment reconnu dès 1884 par les États-Unis, l’Allemagne et la France (1885), est contestée par certaines puissances coloniales, déniant à une structure privée le « droit de conquête ». C’est à partir de ces deux problématiques que la conférence de Berlin établit les règles du jeu entre puissances occidentales.

La conférence de Berlin

Convoquée par le chancelier allemand Bismarck du 15 novembre 1884 au 26 février 1885, la conférence de Berlin réunit quatorze nations : Allemagne, Autriche-Hongrie, Belgique, Danemark, Empire ottoman, Espagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas, Portugal, Russie et Suède, ainsi que l’AIC en tant qu’observateur. L’acte général, établi le 26 février 1885, précise les modalités futures de l’occupation de l’Afrique, sans pour autant constituer un véritable «partage » du continent. En premier lieu, les puissances européennes disposant de comptoirs sur les côtes africaines peuvent étendre leur présence et négoce à l’intérieur des terres, dans la limite des zones déjà détenues par d’autres puissances. Toute terre conquise doit être occupée : les métropoles doivent y installer une administration (civile ou militaire), matérialiser les nouvelles frontières par des postes militaires et les éventuels traités signés avec les autorités « indigènes » doivent être signalés aux autres nations colonisatrices.

Nombre de frontières et de guerres actuelles sont liées à ces découpages territoriaux.

La nouvelle vague d’expansion

L’Ancien Régime, Charles X et le second Empire lèguent à la IIIe République un domaine colonial non négligeable rassemblant les possessions antillaises, la Guyane, l’île de La Réunion (ancienne île Bourbon), les comptoirs des Indes, le Sénégal, l’Algérie, mais aussi les nouvelles conquêtes de Cochinchine, du Cambodge, de Mayotte, de Tahiti, des Marquises et de la Nouvelle-Calédonie. Dans ce contexte, marqué par le vote en faveur de l’expansion coloniale de 1885, une nouvelle impulsion s’opère sous l’égide d’hommes comme Jules Ferry, Eugène Étienne ou Léon Gambetta. Cette politique a des opposants virulents — Jules Maigne, Paul Vigné, Félicien Challaye, Frédéric Passy, Camille Pelletan ou Georges Clemenceau, ainsi que la plus grande partie de la droite nationaliste et royaliste — mais va s’imposer jusqu’à la Première Guerre mondiale, dynamisée par la concurrence des autres puissances coloniales, notamment la Grande-Bretagne, puis l’Allemagne.

Conquêtes militaires et traités

Très vite, la politique de conquêtes s’accompagne d’une politique des traités afin d’attribuer des « terres n’appartenant à personne » ou habitées « par des tribus barbares » à la France. Ces épisodes — guerres et traités signés souvent par la force — se multiplient, jalonnant la construction de l’empire colonial : combat contre Samory Touré (Guinée, 1886-1898), campagnes militaires contre le roi Béhanzin (Dahomey, 1892-1894) ou Cheikh Ahmadou Bamba (Sénégal, 1895), conquête malgache s’achevant avec l’exil de la reine Ranavalona III (1883-1895), protectorat français en Tunisie (1881-1883), « pacification » de l’Annam et du Tonkin (1882-1896), création de l’AOF (1895)… Le Maroc, protectorat conquis entre 1906 et 1912, vient compléter l’édifice en Afrique du Nord à la veille de la Grande Guerre.

L’appel à l’Empire

Les projets de recrutement militaire local se multiplient au tournant des XIXe et XXe siècles, portés par des officiers de renom, tels le colonel (futur général) Mangin et sa « Force noire » ou le général Pennequin, théoricien de la « Force jaune ». Tout au long de la conquête jusqu’au protectorat du Maroc, ces supplétifs constituent les troupes de choc de la pénétration française. Certes, les projections d’avant 1914 concernant le recrutement ne seront jamais atteintes, mais un flot ininterrompu de soldats et de travailleurs venus de l’Empire n’en contribue pas moins à l’effort de guerre. Avec 47 900 Maghrébins tués, 25 000 Sénégalais tués ou disparus, 2 471 Malgaches et 1 548 Indochinois tués, auxquels s’ajoutent morts, disparus ou blessés des autres territoires, l’indéniable contribution des soldats de l’Empire à la victoire achève de convaincre les derniers opposants de l’intérêt des colonies. La venue des « indigènes » en France contribue également à changer le regard qu’on leur porte. Ces centaines de milliers de travailleurs et soldats découvrent aussi la France. Le rapport de domination coloniale ne peut qu’être ébranlé par ces nouvelles réalités sociales et culturelles.

La conquête de l’opinion

Dès les années 1880, la propagande coloniale est orchestrée par le «lobby colonial» — un regroupement des intérêts économiques (armateurs, grandes compagnies commerciales, entrepreneurs) et politiques —, avant d’être relayée par les comités coloniaux. L’Etat participe progressivement à la propagande qui cherche à promouvoir quatre objectifs : susciter l’intérêt des Français pour l’idée coloniale, motiver les jeunes Français à s’engager outre-mer, encourager les échanges économiques entre la métropole et ses colonies, et valider les principes de légitimation de la « mission civilisatrice » de la France. Jusqu’en 1913, l’entreprise n’est guère efficace et les Français se sentent très peu concernés.

La propagande officielle

La participation des troupes coloniales à la Première Guerre mondiale amorce un intérêt inédit pour l’Empire : cinéma de fiction et documentaires, rubriques coloniales dans les grands quotidiens, diffusion de milliers de cartes postales, presse spécialisée prolifique, affiches, chansons, bandes dessinées, pièces de théâtre… s’immiscent dans l’imaginaire des Français. En 1919 est créée, sous l’égide du ministère des Colonies, l’Agence générale des colonies, aidée par de nombreuses associations du lobby colonial, en tête desquelles la Ligue maritime et coloniale (LMC) à partir de 1921. Tous les moyens de persuasion sont utilisés : publication de brochures et de périodiques spécialisés, mise à disposition de photographies et de communiqués d’information pour la presse, organisation d’émissions de radio, campagnes d’affichage, expositions coloniales locales, nationales et internationales, actions diverses à destination des écoles, diffusion de films documentaires, subventions pour le cinéma de fiction, organisation de salons (1935 et 1940), programmation de semaines coloniales, aides et bourses pour les artistes « coloniaux »…