Le Moyen-Âge européen couvre une longue période de lentes mutations (du Vie au XIVe siècle environ), caractérisée par :
A la chute de l’Empire romain, le territoire de l’Europe se retrouve divisé en de multiples petits royaumes gouvernés par les peuplades « barbares » qui se sont répandues depuis les contrées septentrionales, sur toute la Gaule, la péninsule Ibérique et même Rome.
Parmi elles, les Francs vont s’imposer et fonder une dynastie, les Carolingiens, qui va dominer sur l’ouest de l’Europe jusqu’au Xe siècle et sera supplanté ensuite par le Royaume de France. Le Royaume est constitué de multiples contrées attribuées à des « Seigneurs » qui maîtrisent l’art de la guerre et forment ensemble le corps de la noblesse. Le peuple qui vit sur les terres des Seigneurs appartient à ceux-ci.
C’est à la faveur d’un affaiblissement de la royauté au tournant de l’an mil que la féodalité va se développer. Soucieux d’affermir le contrôle sur ses terres, le Seigneur passe un « contrat à vie » avec un vassal pour qu’il gère sa terre et ses biens. En échange, il lui garantit la sécurité. La terre est, à l’époque, la principale richesse et l’économie est essentiellement rurale.
L’esclavage a persisté en Europe tant que les grandes propriétés foncières, où s’activaient de larges équipes serviles, ne sont pas remplacées par des exploitations plus petites, de taille familiale, autonomes dans la gestion de leurs tâches. Ainsi émerge le statut de « serf », que l’on peut regarder comme la survivance ou la mutation de l’esclave antique.
Étymologiquement, « serf » vient en effet du latin « servus », qui signifie «esclave». Dans les faits, le « serf » a en commun avec l’esclave le travail de la terre et sa dépendance héréditaire à l’égard du propriétaire terrien, auquel il est attaché à vie. Mais il est perçu comme une personne. Il vit en famille et se voit reconnaître le droit d’élever ses enfants.
Il dispose aussi d’une certaine latitude pour exploiter le fruit de son travail, et surtout il n’est pas vendu. Une différence notable avec le statut d’esclave, car cela permettra à certains serfs de se constituer un pécule pour racheter leur franchise. Grâce à cette politique, certains feront fortune et réussiront à se hisser jusqu’au rang de chevalier et à intégrer la Noblesse.
Cependant, au sein de la société médiévale, le serf reste un paysan, un homme de faible condition, peu considéré, qui vit à l’écart des nobles et des vassaux. Outre le rachat de sa franchise, l’émigration vers les villes (à l’insu de son Seigneur) est l’autre moyen d’échapper au servage. Le développement économique des villes à partir du XIIe siècle va favoriser leur émancipation. Des communautés entières furent capables de s’affranchir (ce fut le cas des paysans de la région parisienne).
La fin du régime féodal en Europe de l’ouest coïncide avec le raffermissement du pouvoir royal. La condition de serf ne concerne, à partir du XIVe siècle, que les paysans les plus pauvres. Cependant le servage se substitue très fortement dans certains pays de d’Europe de l’est jusqu’aux XIXe et XXe siècles. Il est aboli en France par la Révolution de 1789.
Pour autant, l’esclavage ne disparaît pas au Moyen-Âge. Il se perpétue, notamment en terre d’Islam, alimenté par la traite transsaharienne. Présent surtout dans le bassin méditerranéen, il se substitue fortement dans les pays christianisés, en Espagne, au Portugal, en Italie, en Grèce, pays qui entretiennent des relations étroites avec le monde musulman et où se perpétuent les structures sociales et les modes de vie hérités de l’Antiquité.
Comme l’affirme Verlinden, dans la traite intra-européenne, certains trafiquants Juifs ont bénéficié de protections royales en Occident, impériales à Byzance, pour traverser les terres chrétiennes avec leurs convois d’esclaves. Des itinéraires existaient entre Verdun et Venise, Verdun et Barcelone. Il ne faut pas minorer la forte mortalité des personnes qui étaient ainsi enlevées, notamment en raison de la castration que l’on faisait subir à certains d’entre eux pour, dit-il, satisfaire la clientèle musulmane.
« Les juifs officiellement convertis mais restés en réalité fidèles au judaïsme se reconnaissent à ceci.
Ils vont rarement l’église. Ils fréquentent la juiverie. Ils lient des amitiés avec les juifs et évitent le contact des chrétiens. Aux fêtes juives, ils mangent avec les juifs. Ils ne touchent pas à la viande de porc. Ils mangent de la viande le vendredi. Ils observent le samedi et, secrètement, ils travaillent dans leur maison le jour de fête. »
Voilà des signes auxquels on reconnaîtra ceux qui descendent du judaïsme, surtout dans les contrées où l’on permettait aux juifs de cohabiter avec les chrétiens et dans lesquelles – à Rome par exemple – il arrive fréquemment que des juifs se convertissent au catholicisme. L’inquisiteur « procéda contre » tout chrétien qui manifesterait par tel ou tel des signes énoncés à l’attachement de fait à la secte judaïque.»
(Eymerich, XVIe siècle)
Aux signes énoncés par Eymerich, il faut encore en ajouter un autre : le changement de nom. Les juifs convertis au catholicisme, et redevenus juifs, abandonnent le nom chrétien qu’ils avaient reçu à leur baptême, et reprennent leur ancien nom.
Rappelons aussi que, dans le Placitum dater de l’an 653 et figurant dans le Fuero Juzgo, les convertis de Tolède s’obligent eux-mêmes à faire justice – par le feu ou par lapidation – à ceux d’entre eux dont les actes (ne pas manger du porc, épouser des juives ou quelqu’un ayant un ancêtre juif – en remontant jusqu’au sixième degré) pourraient légitimement faire croire qu’ils ne se sont convertis que de nom.
Sur cette question de la nourriture, Simancas proclame que le fait de ne pas manger de la viande de porc ou celui de ne pas boire de vin sont des indices suffisamment clairs de l’appartenance au judaïsme où l’islam. N’exagérons rien ! Tous les estomacs ne supportent pas toute nourriture, ni toutes les boissons. Et ces signes, à eux seuls, ne sauraient être concluants. Sans compter que tel juif converti, n’ayant auparavant jamais goûté à certaine viande, puisse avoir du mal à s’habituer à un autre type de nourriture ! En revanche, il y aurait suspicion très grave si les fils ou les descendants du converti continuaient de s’abstenir de certaines viandes : pourquoi ses fils s’abstiendraient-ils, sinon par respect et révérence envers cette satanée secte judaïque ?
Des considérations semblables sont à faire à propos des chrétiens provenant d’autres sectes et religions que le judaïsme et l’islam. »
Nicolau Eymerich, Le Manuel des inquisiteurs [vers 1376], texte traduit et suivi d’un commentaire par Louis Sala-Molins, Paris, Albin Michel, 2001, p. 179 – 180.