Jules Ferry (1832 – 1893) Les justifications économiques, stratégiques et « humanitaires » de la colonisation

Intervention de Jules FERRY le 28 juillet 1885

« J’ai lu, dans les livres savants, des calculs qui chiffrent la perte pour chaque colon qui s’en va et quitte la mère-patrie (…). Mais il n’y a pas que cet intérêt dans la colonisation. Les colonies sont, pour les pays riches, un placement de capitaux des plus avantageux. (…) Je dis que la France, qui a toujours regorgé de capitaux et en a exporté des quantités considérables à l’étranger – c’est par milliards, en effet, qu’on peut compter les exportations de capitaux faites par ce grand pays qui est si riche –, je dis que la France a intérêt à considérer ce côté de la question coloniale.

Ce qui manque à notre grande industrie, que les traités de 1860 ont irrévocablement dirigée dans la voie de l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus, ce sont les débouchés (…) La concurrence, la loi de l’offre et de la demande, la liberté des échanges, l’influence des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend jusqu’aux extrémités du monde. C’est là un problème extrêmement grave.

(…) A ce point de vue, je le répète, la fondation d’une colonie, c’est la création d’un débouché.

Je dis que la politique coloniale de la France, que la politique d’expansion coloniale, celle qui nous a fait aller, sous l’Empire, à Saigon, en Cochinchine, celle qui nous a conduits en Tunisie, celle qui nous a amenés à Madagascar, je dis que cette politique d’expansion coloniale s’est inspirée d’une vérité sur laquelle il faut pourtant appeler un instant votre attention : à savoir qu’une marine comme la nôtre ne peut pas se passer, sur la surface des mers, d’abris solides, de défenses, de centres de ravitaillement. ( » Très bien ! Très bien !  » Nombreux applaudissements à gauche et au centre.) L’ignorez-vous, Messieurs ? Regardez la carte du monde… et dites-moi si ces étapes de l’Indochine, de Madagascar, de la Tunisie ne sont pas des étapes nécessaires pour la sécurité de notre navigation ? (Nouvelles marques d’assentiment à gauche et au centre.) (…)

(…) Messieurs, il y a un second point, un second ordre d’idées que je dois également aborder, le plus rapidement possible, croyez-le bien : c’est le côté humanitaire et civilisateur de la question.

Messieurs, il faut parler plus haut et plus vrai ! Il faut dire ouvertement que les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (…) Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.

(…) Ces devoirs ont souvent été méconnus dans l’histoire des siècles précédents, et certainement quand les soldats et les explorateurs espagnols introduisaient l’esclavage dans l’Amérique centrale, ils n’accomplissaient pas leur devoir d’hommes de race supérieure. Mais de nos jours, je soutiens que les nations européennes s’acquittent avec largeur, avec grandeur et honnêteté de ce devoir supérieur de la civilisation

(…) Est-ce que vous pouvez nier, est-ce que quelqu’un peut nier qu’il y a plus de justice, plus d’ordre matériel et moral, plus d’équité, plus de vertus sociales dans l’Afrique du Nord depuis que la France a fait sa conquête ? Quand nous sommes allés à Alger pour détruire la piraterie, et assurer la liberté du commerce dans la Méditerranée, est-ce que nous faisions œuvre de forbans, de conquérants, de dévastateurs ?

(…) En regardant comme un piège, comme une aventure toute expansion vers l’Afrique ou l’Orient, vivre de cette sorte pour une grande nation, croyez-le bien, c’est abdiquer (…) «