Chaque société possède un imaginaire qui lui est propre et qui constitue un contexte pour les images ou les représentations de chacun de ses membres.
Cet imaginaire institue le groupe social comme tel. Le groupe qui partage les mêmes idées est constitué grâce à cet imaginaire commun. L’imaginaire qui est le nôtre en France aujourd’hui est ainsi constitué de différents imaginaires qui nous ont été transmis à travers notre histoire et qui nous ont progressivement constitués comme français, « race blanche », ou comme société plurielle et multicolore, etc.. Cet imaginaire se transforme donc en même temps que notre histoire. C’est ce que Cornélius Castoriadis décrivait sous l’expression d’ « institution imaginaire de la société » (1) et dont il disait qu’il n’était pas « image de quelque chose » mais « création incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de quelque chose. Ce que nous appelons « réalité » et « rationalité » en sont les œuvres. Chaque société fabrique son imaginaire, qui évolue.
Les idées que l’on a des races sont donc, comme les autres idées, à la fois individuelles et collectives, historiquement constituées et il est donc possible de les faire évoluer grâce à l’éducation.
Une autre approche contemporaine de l’influence de l’imaginaire sur les actes politiques d’un groupe social est la théorie du bio-pouvoir de Michel Foucault qui analyse comment se nouent les rapports entre le pouvoir et la vie. C’est ainsi qu’il explique le racisme : « Le racisme s’inscrit dans les mécanismes étatiques par l’émergence du bio-pouvoir, selon une double fonction.
D’une part, le racisme introduit des césures dans la vie prise en charge par le pouvoir, entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir; il opère une fragmentation du champ du biologique en faisant apparaître des races (inférieures ou supérieures), ce qui permet de « décaler à l’intérieur d’une population, les groupes les uns par rapport aux autres ».
D’autre part, il établit une relation positive qui n’est plus guerrière ou militaire, mais biologique, entre la vie des uns et la mort des autres. La mort de l’autre n’est pas seulement la sécurité d’une race, mais la mort de la mauvaise race, qui rendra la vie de la race plus saine et plus pure.
Les ennemis ne sont pas des adversaires politiques mais des dangers biologiques. Le racisme est ainsi entendu par Foucault comme « condition d’acceptabilité de la mise à mort dans une société de normalisation ». Il est le point par lequel le bio-pouvoir doit passer pour exercer un pouvoir de souveraineté, soit un droit de mort. Sur le cas spécifique du nazisme, Foucault établit une coïncidence exacte entre les deux procédés, la généralisation paroxystique du pouvoir de tuer et du bio-pouvoir : la société nazie, régulatrice et assurancielle, « déchaîne » dans le même temps son pouvoir de tuer, par l’exposition à la mort des citoyens. C’est cette exposition totale à la mort qui constitue la « race allemande » comme « race supérieure.» « L’État nazi a rendu absolument coextensifs le champ d’une vie qu’il aménage, protège, garantit, cultive biologiquement, et, en même temps, le droit souverain de tuer quiconque – non seulement les autres, mais les siens propres. ». Le génocide est ainsi explicité comme « rêve des pouvoirs modernes ». (2)
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(1) L’institution imaginaire de la société, Seuil, collec. Esprits, 1975.
(2) Katia Genel, Le biopouvoir chez Foucault et Agamben, in Revue Methodos, Penser le corps, n° avril 2004.
Nous pouvons changer nos imaginaires par un changement de point de vue et de nouvelles connaissances historiques et géographiques. Prendre conscience que l’histoire et les représentations qu’elles nous donnent des autres sont radicalement « européanocentrées » et qu’une autre histoire est possible.
Nous pouvons connaître l’histoire de ces peuples dont nous ignorons l’histoire parce qu’ils n’en ont pas laissé de traces, parce que nous ne les avons pas cherchées, parce que leurs traces sont plus difficiles à trouver que les nôtres.
Christian GRATALOUP (1) : “ Les « peuples à pattes » sont plus insaisissables que les « peuples à racines » et ce d’autant plus que pour être connus et reconnus il faut être connecté au reste du monde. Notre méconnaissance de certains peuples nous conduit à les déconsidérer et à les exclure de l’humanité.
Nous ne connaissons bien que les peuples qui appartiennent à l’axe d’échanges de l’Ancien Monde, de la Méditerranée au Japon.
Cet axe de circulation est très ancien. Selon le préhistorien André Leroi Gourhan, il est décelable dans les diffusions du paléolithique ancien.
Ensuite, on remarque que dans les positions les plus centrales, en particulier le croissant fertile mésopotamien et syrien, se retrouvent les premières sédentarisations. À partir de là, des sociétés se sont densifiées dans les différentes directions. À travers notre subjectivité européenne, nous connaissons bien celle de l’ouest, les mondes égyptien, phénicien, grec, romain… Mais le processus se déroule également dans l’autre sens, avec des noyaux qui se développent de manière autonome, en particulier à travers les plaines du nord de la Chine, où l’on retrouve des cultures qui remontent au moins au IIIe millénaire av. J.-C.
À l’ouest de la Mésopotamie, la première grande vallée où put s’établir une culture hydraulique semblable à celle des Sumériens est l’Égypte. Mais le processus est symétrique à l’est, avec la vallée de l’Indus.
L’une des raisons du caractère mystérieux est effectivement que les vainqueurs ont souvent fait disparaître les traces des vaincus. Le pire exemple est le génocide culturel auquel au XVIe siècle, se sont livrés les conquistadores européens sur les peuples amérindiens. Ils se sont efforcés de détruire toutes les structures du pouvoir et de la religion préexistantes : bâtiments, statuaire, et surtout textes ou dessins. Ils ont brûlé les codex par paquets. Par volonté de conversion. Même chose en Afrique noire. Ou en Polynésie : lorsqu’à la fin du XVIIIe siècle, Cook nous raconte Tahiti, il évoque une structure de civilisation extraordinaire, des bateaux, des temples, des objets superbes. Quelques dizaines d’années après arrivent les premiers anthropologues : il ne reste presque plus rien. Entre-temps, des missionnaires protestants ont tout brûlé, détruit…
Surtout, plus on est face à des peuples considérés comme « sauvages », moins on pense qu’on trouvera des vestiges archéologiques. On fouille en Mésopotamie ou dans la vallée de l’Indus parce qu’on reconnaît un degré de civilisation aux peuples qui y ont habité. Même si, au fond, on ne voit que des tumulus ressemblants à des collines. Mais lorsqu’on s’éloigne de ce modèle d’un État avec de grands monuments, on ne se pose plus guère de questions archéologiques.
En Afrique noire, nous avons « raté » des merveilles. Parce qu’on ne savait pas les voir. Ainsi les bois sacré, qui étaient des constructions équivalentes à des lieux de culte. Il a fallu que ce soient des botanistes qui s’y intéressent pour qu’on se rende compte que les arbres qui s’y trouvaient n’avaient rien de naturel…”.
Nous ne percevons pas les richesses du continent noir car nous ne savons pas ce qu’il fut. Comme l’écrit François-Xavier Fauvelle : « Depuis Hérodote, le regard porté sur l’Afrique reflète ainsi la même incompréhension. En se focalisant sur un certain type de vestiges, la science est passée à côté de l’essentiel, ignorant la grande inventivité politique, culturelle et sociale de l’Afrique.
Il nous faut travailler à connaître ces grandes civilisations oubliées, telles celles qui au Moyen-Âge brillaient, alors que l’Europe n’existait qu’à peine – l’empire du Mali, l’Éthiopie, le grand Zimbabwe, etc… »
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(1) In la mondialisation, c’est la disparition d’un mystère. Science et Avenir, p.8, hors-série, n° 163, juillet-août 2010.
(2) De Science et Avenir. Idem p.62
Nos représentations de l’ailleurs, donc des autres, n’ont rien de naturel. Toutes les sociétés ont vécu sur l’opposition d’un « nous » qui ne peut que s’opposer aux « autres ».
Nous sommes ici, les autres sont ailleurs. Entre les deux, on a inventé des discontinuités, des barrières, des différences.
Il en est de bien réelles : des frontières, bien sûr, des changements de langues, des différences de manière de vivre et de penser. On en oublie tout ce qui nous rend fondamentalement semblables. Aujourd’hui, alors que la mondialisation, résultat de nos similitudes, est une évidence quotidienne, penser avec des barrières est devenu dangereux. Ces frontières anciennes qui sont dans nos têtes, que nous avons apprises et que nous apprenons à nos enfants, on a bien tort de les prendre pour des évidences naturelles.
Quoi de moins discutable, semble-t-il, qu’un continent ? Nous apprenons très jeune à l’école la liste des cinq parties du Monde : Europe, Asie, Afrique, Amérique, Océanie… Sans qu’on les ait vraiment définis, ces découpages des terres émergées nous apparaissent comme de très grandes îles. Il faut dire que leurs images répétées les gravent dans les esprits.
Si l’on dit « Afrique », c’est immédiatement la silhouette d’une masse trapue, large d’épaule, en pointe effilée vers le bas, qui s’impose à nous. Souvent, elle est dessinée sans voisines, sans contacts, justement comme une île. Pourtant, ce découpage est purement conventionnel. Certes, il a une longue histoire, mais cette histoire est toute européenne. En reprenant un mot romain (le nom de l’actuelle Tunisie), les théologiens chrétiens du Moyen-Âge ont imaginé un territoire des autres au sud de la Méditerranée, sans se demander s’il y avait une quelconque cohérence entre les sociétés peuplant ce continent supposé dont on ne connaissait ni les limites, ni la diversité.
En « découvrant » la Terre, comme on dit ici, en contournant l’Afrique au XVe siècle, les Européens ont donné à cette partie du monde qu’ils avaient imaginé sa silhouette. Depuis, surtout au sud du Sahara, on a intériorisé cette catégorie «Afrique», on en a fait une identité, presque une personne. Être Africain, aujourd’hui cela a un sens fort. Il s’agit pourtant d’un découpage inventé par les Européens pour classer leurs « autres » méridionaux.
L’analyse critique de la catégorie d’Asie serait encore plus facile. Qui, spontanément pensera qu’un Libanais ou un Irakien sont « asiatiques » ? L’Asie, ce n’est rien d’autre que ce qui n’était pas européen en allant vers l’Est.
L’effort pour réaliser que nos cadres mentaux sont relatifs en géographie est tout aussi pertinent en histoire. Dans quelles sociétés la notion de Moyen-Âge a-t-elle vraiment sens ? La Chine des empereurs Song est-elle médiévale ? La question ne peut que faire rire un sinologue… ou un Chinois.
On peut aller plus loin et réaliser que les découpages qui nous permettent de penser le réel, temps et espace, nature et culture, économique et social… sont le résultat d’une mise en forme par une pensée située géographiquement et historiquement, celle qu’on qualifie d’occidentale et qu’on prend trop vite pour universelle.
Cependant, s’il est indispensable de prendre conscience du caractère relatif de tous nos cadres de pensée, on ne peut absolument pas se contenter de cette déconstruction. Nous avons besoin d’une boîte à outils universelle pour penser le Monde et chacun de nous. C’est ce qui fonde le projet scientifique.
Accepter le relativisme absolu, ce serait considérer que les différences l’emportent sur les ressemblances, ce serait reconstruire des altérités grosses de conflits, ce serait subir le « choc des civilisations ».
Tenir les deux bouts, celui de la prise en compte de toutes les diversités, de toutes les richesses des sociétés, d’une part, mais aussi tenir compte de ce qui fait l’unité du genre humain, d’autre part, est la seule voie possible(1). Il faut donc constamment reconstruire notre outillage mental, ne jamais oublier son caractère historique, en douter et tester ses limites, mais aussi en voir l’intérêt et l’utiliser. Vivre d’un même mouvement l’infinie variété des possibles de la société humaine et l’universalité, c’est ce que l’écrivain Patrick Chamoiseau appelle joliment la «diversialité». En d’autres termes, c’est à l’échelle de l’humanité qu’il faut penser.
Parce qu’à ce niveau, il n’y a pas d’ailleurs.
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(1)Une polémique actuelle sur les nouveaux programmes de collège en France s’attaque à l’intérêt qu’ils manifestent pour les sociétés qui ne sont pas dans notre filiation, affirmant « le Zimbabwe, ce n’est pas nous ». Même si on a des ancêtres venus de Pologne ou du Viêt-Nam, le royaume qui, au XIVe et XVe siècle, construisit de spectaculaires murailles, fait partie, aussi, de notre patrimoine. Pourquoi l’ignorer, pourquoi s’en priver ? Le Zimbabwe, c’est nous.
Depuis des millénaires, la traite des esclaves a considérablement perturbé les sociétés africaines.
Pratiquée par l’Égypte dans l’antiquité, par les pouvoirs musulmans depuis l’aube de l’islam, par les puissances européennes à partir du XVe siècle, la traite des esclaves s’est exercée aux dépens de l’Afrique de façon massive et continue au cours des siècles.
Les chiffres avancés par les spécialistes (10 à 12 millions de déportés en seulement quatre siècles pour la traite atlantique pratiquées par les Européens, peut-être de 15 à 20 millions pour les traites arabes sur plus d’un millénaire), s’ils laissent imaginer l’ampleur et l’horreur de la réalité de ce commerce pour ceux et celles qui furent victimes de cet arrachement à leur terre d’origine et ont connu la condition servile, n’offrent cependant qu’une pâle idée de l’impact du phénomène de longue durée qu’est la traite sur les sociétés africaines en Afrique même.
Commençons par dire que la ponction démographique fut encore plus importante que ce que suggèrent les chiffres des personnes déportées d’Afrique. Car pour un captif acheté par un commerçant arabe sur un marché de la vallée du fleuve Sénégal ou Niger au 14e siècle, par exemple, ou par un marchand négrier européen du 17e siècle sur la côte du Ghana ou du Nigeria, il est probable qu’il faut compter plusieurs individus morts de maladie ou de maltraitance durant l’acheminement jusqu’au lieu de transaction, décédés des suites des mutilations (notamment la castration) imposées dans certaines régions, ou encore tués lors des razzias pratiquées par les sociétés fournisseuses dans l’intérieur du pays.
Or cette réalité première nous est beaucoup moins bien connue que celle de la traite et des sociétés esclavagistes situées à l’arrivée.
L’imaginaire raciste travaille certains partis politiques tels le FN en France, le Vlaams Blok en Belgique ou l’union du peuple allemand. Mais aussi notre démocratie.
Pour Todd (1), « trois évolutions de la crise actuelle sont plausibles. La première est une ethnicisation de la société française par la désignation d’un bouc émissaire ethnique, religieux ou racial. Quand une société ne parvient pas à affronter ses propres problèmes économiques, c’est l’une des issues qui s’offrent à elle. Taper sur un faible pour se soulager les nerfs est un mécanisme de compensation éprouvée, à l’échelle individuelle comme collective ».
On peut aussi reconstruire un nouvel imaginaire de l’exotique comme «authentique»: Christian GRATALOUP (2)
“L’intérêt pour l’altérité absolue est aussi une manière de se dégager ou de rejeter des gens profondément différents – auxquels en général on attribuera l’adjectif « authentiques ». Un terme qui, de plus, comporte un a priori écologique. Car il existe un rapport romantique aux peuples dits « naturels » ou « premiers ». On retrouve vite un vocabulaire très colonial.”
On veut enfin tenter de « réfléchir à l’immense variété des façons qui existent de fabriquer de la société. De ce point de vue, la connaissance scientifique offre une excellente boîte à outils pour contribuer à apprendre à vivre ensemble. Tout l’enjeu de l’histoire, aujourd’hui, c’est bien de construire une pensée du global, une pensée de l’ensemble de l’écoumène – l’étendue de l’humanité -, de se banaliser soi-même et de se ramener à une situation commune. »
Car certes nous sommes tous des « civilisés » ; mais les « barbares » existant en chacun de nous, nous sommes tous aussi capables de barbarie. Mais on peut espérer, avec Édouard Glissant, que « la notion de différence est entrée dans la pensée mondiale ». Pour Glissant, « la diversité a pénétré l’inconscient du monde ». Et il propose d’affirmer « la créolisation » comme solution nécessaire à la vie commune ; même s’il faut se méfier de cette notion qui induit l’existence de « pureté » originelle…
On peut reconnaître l’intérêt de manifestations tel le Black History Month qui vise à mettre en évidence le rôle qu’ont joué les Noirs américains dans l’histoire des États-Unis. Ainsi se transforme l’imaginaire de tous les américains, à l’égard des personnes de couleur noire.
C’est pourquoi en pratique, nous suggérons très simplement de proposer aux enfants, grâce à des affiches, des posters, des documents que l’on peut présenter dans les classes, des images autres que celles européanocentrées dont on les entoure habituellement : images des grandes figures issues de toutes les civilisations, personnages de toutes les couleurs, représentations du monde par des cartes qui ne situent plus la France au centre du monde, chef d’œuvres d’autres sociétés, telles celles présentées dans l’extraordinaire ouvrage de William Rubin : Le Primitivisme dans l’art du XXe siècle., qui fit date lorsqu’il parut en 1984 .
Ainsi parviendra-t-on à transformer nos représentations et, comme le dit Glissant à « s’autoriser des imaginaires du monde, où s’annonce que mon lieu inlassablement conjoint à d’autres »
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(1) Emmanuel Todd, Après la démocratie, Gallimard NRF 2008, chap 5, Ethnicisation ? (extrait d’un article sur le livre in Perspectives géopolitiques, 2 décembre 2008)
(2) In la mondialisation, c’est la disparition d’un mystère. Science et Avenir, p.8, hors-série, n° 163, juillet-août 2010.
« L’idée du monde n’est vivante que de s’autoriser des imaginaires du monde, où s’annonce que mon lieu inlassablement conjoint à d’autres, et en quoi sans bouger il s’aventure, et comment il m’emporte dans ce mouvement immobile ».
Edouard Glissant, D’un traité du Tout-Monde, p.317 in La Terre, le Feu, l’Eau et les Vents, une anthologie de la poésie du Tout-Monde, Ed. Galaade, 2010, Paris
Il n’y a pas de planisphère parfait, parce que la surface d’une sphère n’a pas de centre ni de bord. La seule solution est de varier les points de vue. Ainsi, une projection polaire nous amène toujours à réfléchir : où est le Nord ? où sont l’Est et l’Ouest ?
Une représentation graphique et, plus encore, mentale, nous impose une vision du Monde. Nos planisphères n’ont, trop souvent, pas beaucoup varié depuis qu’à la fin du XIXe siècle on montrait, dans un manuel qui fut très diffusé on montrait « la France au centre des terres émergées ».
Les indiens et les cow-boys : Depuis les années 1920, les westerns célèbrent la rude existence des cow-boys. Ces films relatent souvent la lutte qui opposait les cow-boys et les autochtones (appelés “Indiens”), en recourant à des stéréotypes réducteurs. De nos jours encore, quand il est question des cow-boys et des Indiens, il faut comprendre “les bons et les méchants”.
Cela se déplace vers les êtres des films de fiction comme le montre la récente polémique autour de Avatar de James Cameron (2009).
Tintin au Congo et les noirs qui parlent « petit nègre » Alain Mabanckou : « Il est clair que dans «Tintin au Congo» les représentations du Noir – j’allais dire du Nègre – ont une connotation paternaliste, raciste et colonialiste. L’album paru en 1931 a subi des « réaménagements » ultérieurs. Hergé avait donc entendu toutes les critiques formulées contre cette œuvre. Or ces réaménagements n’étaient rien par rapport à l’esprit même de la bande dessinée qui n’était pas retouchée. Hergé a changé par exemple la scène dans laquelle, Tintin enseigne aux nègres une leçon qui commence par : «Mes chers amis je vais vous montrer votre patrie, la Belgique». Cette leçon est devenue une leçon de mathématiques lors de la retouche. Ce n’est pas cela qui dérange puisque nos parents, colonisés par la France, apprenaient eux aussi que leurs ancêtres étaient des Gaulois !
«Tintin au Congo» montre des Noirs à l’état de barbarie, sans esprit et qui parlent dans une langue censée reproduire leur imbécillité, la langue que l’auteur estime à la hauteur de «ces gens-là». Dans sa défense, Hergé avait argué qu’il baignait comme «tout le monde» dans cette idéologie au sujet des Noirs. Qu’à cette époque cette pensée dominait. Ce que je trouve inexact puisque bien avant la parution de «Tintin au Congo», beaucoup d’intellectuels européens regardaient autrement l’Afrique et les Africains.
Entre 1927 et 1929, par exemple, des livres majeurs plaidaient pour la revalorisation de la condition de l’homme noir, et ces ouvrages étaient donc des plaidoyers contre le colonialisme. Je pense aux deux livres publiés par André Gide («Voyage au Congo» et «Retour du Tchad») ou encore à «Terre d’Ebène» d’Albert Londres. Par ailleurs, quoique l’on puisse reprocher au siècle des Lumières, il reste que cette époque a été celle de l’humanisme et donc de recherche d’un certain équilibre entre les hommes. Hergé ne pouvait pas ignorer cela. Il avait donc fait un choix capital: légitimer la colonisation de la Belgique au Congo par son œuvre. En effet les Belges étaient nombreux à ne pas vouloir se rendre dans cette terre lointaine. Il fallait bien une propagande. Dans ce sens, Hergé a donné un grand coup de main au système colonial belge, et «Tintin au Congo» – toutes proportions gardées – a été aussi «stratégique» que ces propagandes que diffusait l’armée française pour inciter le gens à aller se battre en Algérie. »
Lovecraft : (Wikipedia) Howard Phillips Lovecraft (1890-1937) : Lovecraft vit à un moment où l’eugénisme, l’anticatholicisme, le nativisme, la ségrégation raciale et les lois sur le métissage sont répandus aux États-Unis et dans les pays protestants d’Europe ; ses écrits font écho à cet environnement social et intellectuel. Dans ses travaux, il associe couramment la vertu, l’intellect, la civilisation et la rationalité à la classe dominante WASP (White anglo-saxon, protestant). À l’opposé, les personnages appartenant à la classe ouvrière ou qui ne sont pas WASP sont souvent idiots, malfaisants et corrompus.
L’idée d’ethnie ressort plus que celle de race chez Lovecraft car il admire surtout les Anglo-Saxons, pas les Blancs en général. Les descendants d’Européens non anglo-saxons sont fréquemment dénigrés dans son œuvre, notamment les immigrants hollandais arrivant dans les Catskill Mountains « qui correspondent tout à fait à l’aspect décadent des white trash du Sud ».
La distinction de classes nous renseigne autant que le reste sur la vision du monde de Lovecraft. Dans Air frais, le narrateur parle avec beaucoup de dédain de ses voisins hispaniques mais respecte et admire l’aristocrate Dr. Muñoz.
S. T. Joshi note que l’« on ne peut pas nier la réalité du racisme de Lovecraft ni simplement se contenter de le qualifier de typique « pour son époque » car il apparaît que l’auteur avait un point de vue très prononcé sur la chose. Il est par ailleurs inepte de nier l’influence de son racisme sur son œuvre » (in S.T. Joshi Interview — Acid Logic e-zine, 16 juin 2002).
Autres références de la littérature.
La Bible fait de l’histoire de l’Humanité une histoire « raciste » (ambivalente) qui recommence après le déluge avec les trois fils de Noé, Sem, Cham, et Japhet, dont descendent les trois grandes races humaines qui peuplent les trois rives de la Méditerranée : les Sémites pour le Moyen-Orient, les Chamites l’Afrique, et les descendants de Japhet, l’Europe. La Genèse (Genèse 10.21.) donne ensuite, avec la descendance de ces trois frères, l’origine généalogique de tous les peuples de la Terre qui sont présentés à la fois comme des peuples généalogiquement distincts, et en même temps apparentés (cf Wikipedia).
La tour de Babel explique la multiplicité des langues comme punition de la démesure des hommes qui ont voulu se rendre aussi grands que les dieux. La diversité est « mauvaise ».
Les trois rois mages : Selon Bède le vénérable (673-735) et la « Légende dorée » de Jacques de Voragine (1228-1298), Gaspard était jeune, rouge, et apportait de l’encens, Balthazar était d’âge mûr, noir et apportait de la myrrhe, et Melchior était vieux, blanc, et apportait de l’encens.
Une autre version dit que Gaspard était africain et apportait de l’encens, Balthazar était asiatique et apportait de l’or, et Melchior était européen, et apportait de la myrrhe.
Les chasseurs du Manden
1222
En 1222, soit cinq cent soixante-sept ans avant la Déclaration des droits de l’homme, le jour de l’intronisation de Soundiata Keita comme empereur du Mali, la Charte du Manden (ou Mandé) est chantée au pays Mandingue. L’empire du Mali, alors à son apogée, s’étend de l’océan Atlantique au Niger. Il connaît une grande prospérité grâce à l’intensification des échanges marchands. La paix et la liberté exceptionnelles qui y règnent sont dues, selon les historiens, à cette Charte, modèle d’humanisme et de tolérance.
Toute vie est une vie.
Il est vrai qu’une vie apparaît à l’existence avant une autre vie,
Mais une vie n’est pas plus « ancienne », plus respectable qu’une autre vie,
De même qu’une vie n’est pas supérieure à une autre vie.
Les chasseurs déclarent :
Toute vie étant une vie,
Tout tort causé à une vie exige réparation.
Par conséquent,
Que nul ne s’en prenne gratuitement à son voisin,
Que nul ne cause du tort à son prochain,
Que nul ne martyrise son semblable.
Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur son prochain,
Que chacun vénère ses géniteurs,
Que chacun éduque comme il se doit ses enfants,
Que chacun « entretienne », pourvoie aux besoins des membres de sa famille.
Les chasseurs déclarent :
Que chacun veille sur le pays de ses pères.
Par pays ou patrie, faso,
Il faut entendre aussi et surtout les hommes ;
Car « tout pays, toute terre qui verrait les hommes disparaître de sa surface deviendrait aussitôt nostalgique ».
Les chasseurs déclarent :
La faim n’est pas une bonne chose,
L’esclavage n’est pas non plus une bonne chose ;
Il n’y a pas pire calamité que ces choses-là dans ce bas monde.
Tant que nous détiendrons le carquois et l’arc,
La faim ne tuera plus personne au Manden,
Si d’aventure la famine venait à sévir ;
La guerre ne détruira plus jamais de village
Pour y prélever des esclaves ;
C’est dire que nul ne placera désormais le mors dans la bouche de son semblable
Pour aller le vendre ;
Personne ne sera non plus battu,
A fortiori mis à mort,
Parce qu’il est fils d’esclave.
Les chasseurs déclarent :
L’essence de l’esclavage est éteinte ce jour,
« D’un mur à l’autre », d’une frontière à l’autre du Manden ;
La razzia est bannie à compter de ce jour au Manden ;
Les tourments nés de ces horreurs sont finis à partir de ce jour au Manden.
Quelle épreuve que le tourment !
Surtout lorsque l’opprimé ne dispose d’aucun recours.
L’esclave ne jouit d’aucune considération,
Nulle part dans le monde.
Les gens d’autrefois nous disent :
« L’homme en tant qu’individu
Fait d’os et de chair,
De moelle et de nerfs,
De peau recouverte de poils et de cheveux,
Se nourrit d’aliments et de boissons ;
Mais son âme, son esprit vit de trois choses :
Voir ce qu’il a envie de voir,
Dire ce qu’il a envie de dire,
Et faire ce qu’il a envie de faire ;
Si une seule de ces choses venait à manquer à l’âme humaine,
Elle en souffrirait.
Elle s’étiolerait sûrement. »
En conséquence, les chasseurs déclarent :
Chacun dispose désormais de sa personne,
Chacun est libre de ses actes,
Chacun dispose désormais des fruits de son travail.
Tel est le serment du Manden
À l’adresse des oreilles du monde tout entier.
Tels sont les grands principes du respect de la vie humaine, de la liberté individuelle, ainsi que l’abolition de l’esclavage, qu’une confrérie de chasseurs proclame à la fin de l’année 1222. Beau sujet d’étonnement pour ceux qui considèrent l’Afrique comme une contrée sauvage, sans véritable histoire ! L’une des théories racistes les plus perverses est de donner à penser que l’histoire de l’Afrique se réduirait à la colonisation et à l’esclavage.
Extrait de Mes Etoiles Noires, Lilian Thuram, OP. CIT. p. 31