Jusqu’au XVIIIe siècle, les Africains ont résisté à la colonisation malgré les moyens traditionnels de combat qu’ils opposaient à la puissance des armes à feu des colonisateurs.
Le XVIIIe siècle est resté dans les mémoires comme le siècle des Lumières : Kant, Voltaire, Diderot… ont posé les bases d’une nouvelle approche de la pensée qui consacre la notion d’individu doué de raison et de libre arbitre.
Ces idées se répandront dans toute l’Europe et formeront le socle de pensée qui va permettre l’éclosion et la diffusion de toutes les connaissances positives des XIXe et XXe siècles. Elles donneront naissance à une approche qui domine encore la pensée aujourd’hui, le rationalisme, ainsi que les idées de progrès et d’individu.
Le XVIIIe siècle est aussi un siècle de mutations économiques, scientifiques et politiques majeures : bourgeoisie triomphante, forte accumulation et concentration de capitaux, invention de machines qui remplaceront peu à peu le travail de l’homme (machine à vapeur), naissance d’une agriculture moderne qui permet d’augmenter les rendements, généralisation de la culture de la pomme de terre qui permet d’enrayer les famines, remise en cause des tutelles monarchiques et premiers combats pour l’indépendance : par exemple États-Unis d’Amérique en 1776, Haïti en 1804.
Le XVIIIe siècle, c’est aussi le siècle de la généralisation et de l’intensification de la traite. Au total, 12 à 15 millions d’Africains transitent dans les cales des navires négriers pour alimenter en main-d’œuvre les plantations de canne à sucre, coton, indigo, tabac, café… qui se sont généralisées et intensifiées dans les colonies. Un commerce triangulaire se met en place entre l’Europe, l’Afrique et l’Amérique, sans oublier qu’une traite s’organise vers le Moyen-Orient depuis le VIIe siècle. Le mercantilisme est à la base de ce système économique établi conjointement par les États, les marchands et les colons. Au point d’avoir donné à cette première colonisation, son qualificatif de « mercantiliste ».
À l’aube du XVIIIe siècle, la présence des colons sur les terres du Nouveau Monde s’est renforcée. Les routes maritimes sont consolidées. Les voies commerciales sont éprouvées.
La demande accrue de sucre, café, tabac, indigo, coton… en Europe, favorise l’intensification de la production dans les colonies. La faible productivité des Indiens pousse les planteurs à avoir recours à une main-d’œuvre servile importée d’Afrique. La « traite négrière » entre Amérique et Afrique se développe et s’intensifie. De quelques milliers par an à la fin du XVIe siècle, la traite culmine à son apogée, entre les années 1740 et 1830, à près de 70 000-90 000 esclaves par an, avec un pic à plus de 100 000 en 1829.
Ce marché est d’abord disputé par les Portugais, qui ont établi aux siècles précédents des comptoirs commerciaux le long des côtes africaines. Au début du XVIe siècle, pas moins de 300 marchands portugais sont installés à Luanda. Ils seront suivis par les Anglais et les Espagnols, les Hollandais, les Français, qui veulent alimenter leurs propres colonies, mais aussi par des marchands suédois, danois et allemands attirés par le profit. La traite représente une activité lucrative qui pouvait atteindre 100 à 150 % des sommes investies dans le meilleur des cas (les plus récentes recherches montrent cependant que ce commerce, aléatoire et risqué, procurait un taux de rendement de 5 à 10 % en moyenne).
Au cours du XVIIIe siècle, la traite s’organise et s’internationalise. Les comptoirs commerciaux se doublent de « forts négriers » : de l’île de Gorée (au large des côtes de l’actuel Sénégal) au port de Luanda (actuel Angola), les positions des Européens se multiplient, favorisant en retour le développement « d’états négriers » à l’intérieur des terres.
Rois et roitelets locaux sont incités à fournir toujours davantage de captifs pour alimenter le trafic. Ils reçoivent en échange des armes à feu et des produits manufacturés (vaisselle, verroterie, tissus…). Ils provoquent des guerres et des razzias et s’organisent pour capturer, transporter, garder et nourrir les esclaves jusqu’à leur embarquement sur les navires européens.
On a vu que l’esclavage existait en Afrique, comme ailleurs en Europe, en Asie… bien avant l’arrivée des Portugais au XIVe siècle. Les Européens en font un commerce qui devient l’activité économique principale et grandissante en Afrique Subsaharienne. Cela représente le plus grand déplacement forcé de population dont l’homme a gardé mémoire. Une situation qui, en plus d’avoir attisé les divisions internes à l’Afrique, l’a privée de ses forces vives.
Les anciens royaumes attestent que la mise sous tutelle et la captivité est une réalité très ancienne, probablement antérieur au VIe siècle. Une réalité que les marchands arabes, chinois, malais, ont su exploiter à partir du VIIe siècle, favorisant le développement d’une traite transsaharienne en Mésopotamie, notamment pour la canne à sucre.
Ce qui est nouveau avec la traite menée par les puissances européennes, ce sont :
Les principales destinations furent entre autre : le Brésil (4 millions), les Antilles (6 millions), l’Empire espagnol (1,5 million) et les États-Unis (500 000).
Ce commerce favorisera également l’essor d’un capitalisme marchand puissant basé sur la « compagnie à monopole », précurseurs des multinationales actuelles. Les bénéfices du marché triangulaire peuvent être très importants, mais ils n’apparaissent qu’en fin de voyage et mettent parfois plusieurs années à rentrer. Ce sont en plus des entreprises relativement risquées (mais pas plus de 15 à 20 % de perte), ce qui justifie le monopole accordé sur un territoire donné. On s’accorde aujourd’hui à dire que leurs bénéfices permettront de financer les énormes investissements que réclamera le développement de la révolution industrielle au siècle suivant.
« Voici la vie d’esclave, froide, machinale, abrutissante, vile, monotone, sans passé pour réfléchir, sans avenir pour rêver, n’ayant que le présent toujours armé d’un fouet ignominieux ».
Cette citation de Victor Schoelcher, qui incarna en France le combat pour l’abolition de l’esclavage (qui ne surviendra qu’en 1848), résume à elle seule, la dureté de la « condition d’esclave ».
Les esclaves proviennent de guerres et de razzias organisées par les souverains locaux. Arrachés à leurs familles, leur tribu, leur peuple, ils sont enchaînés et conduits vers des ports et des forts des côtes. Hommes, femmes, enfants, sont emprisonnés en attendant d’être vendus à des marchands européens, qui les examineront de la tête aux pieds pour évaluer leur prix.
Les conditions d’embarquement et de navigation sont terrifiantes. Les soucis de rentabilisation et la volonté de garder les esclaves dans une condition d’assujettissement total conduisent les négriers à les marquer au fer rouge pour les identifier, à les enchaîner aux mains et aux chevilles, à les fouetter pour les faire avancer, à les mettre nus pour éviter la vermine, à les entasser dans les cales des navires en maximisant l’espace, à minimiser les soins et la nourriture, bref à les traiter comme du bétail.
Les voyages durent de 1 à 2 mois. Les révoltes, qui se produisent dans de rares cas, sont matées avec une rare cruauté pour dissuader d’autres tentatives. Une fois la traversée achevée, l’esclave est « remis en état » (lavé, nourri, soigné) pour être vendu au plus offrant.
On estime que, sur les 12 à 15 millions d’esclaves qui ont transité des côtes africaines vers le Nouveau Monde pendant les 400 ans qu’a duré la traite, près de 1 dixième, soit 1 million ne sont jamais arrivés vivants en Amérique. Pour mémoire, la population française en 1789 était de 26 millions environ, dont 650 000 à Paris (Source : Dictionnaire historique de Paris, Alfred Fierro, 1998).
Des textes juridiques, tel le Code Noir (1685), précisent les modes de traitement des esclaves.
Même si des différences importantes existent entre les différents pays, certaines similitudes existent.
Les esclaves sont affectés aux travaux domestiques et aux travaux agricoles. Le travail dans les champs est long, pénible et épuisant, voire dangereux, notamment dans les moulins qui broient la canne pour en extraire le sucre.
De nombreux témoignages font état de mépris, violences (fouets, coups), châtiments corporels (émasculations, amputations,…) de la part des planteurs pour asseoir leur autorité, prévenir d’éventuelles révoltes et maintenir les niveaux de production. Mais il est plus juste de dire que la condition de vie d’un esclave dépend beaucoup de son maître. Pour certains, l’esclave est, avec la terre, la seule richesse, et il est préférable d’en prendre soin. Pour d’autres, il n’est qu’une main-d’œuvre servile qui n’a aucun droit et qui doit se contenter d’obéir quoi qu’il arrive.
Un esclave, qu’il soit homme, femme ou enfant, appartient à son maître qui peut le revendre comme bon lui semble. Il a rarement une vie de famille. Hommes et femmes sont généralement séparés et un enfant n’est pas rentable pour un planteur. Il faut le loger, le nourrir… De là une faible natalité dans les plantations. Maladies, épuisement, suicides,… le taux de mortalité y est en revanche très élevé. Un planteur doit renouveler son « atelier » tous les 7 à 10 ans.
Cependant, à mesure que la traite se développe, que les prix augmentent, et que les idées abolitionnistes font leur chemin, les conditions de vie et de travail s’améliorent. Mais, même bien portant, un esclave reste une chose que l’on possède et qui dépend entièrement du bon vouloir de son propriétaire, un « bien meuble », comme le précise le Code Noir, édité en France en 1685, dans lequel la condition de « non-droit absolu » de l’esclave apparaît clairement.
La seule manière légale d’échapper à la condition d’esclave est l’affranchissement, qui ne peut intervenir qu’à l’initiative du maître. Très rare au début, sinon inexistante, cette pratique se multipliera à mesure que le combat abolitionniste gagnera du terrain. Généralement, l’affranchi est un métis né d’une union illicite entre maître et esclave. Ou bien il est affranchi en récompense d’un comportement loyal. Le cas le plus fréquent est l’affranchissement par testament à la mort du maître.
La fuite (ou marronnage) et la révolte sont les deux autres manières d’échapper à l’esclavage. Elles sont en revanche sévèrement réprimées. Mais elles contribuent à ouvrir des brèches contre l’esclavagisme et jouent un rôle « régulateur » à la marge du système. Les esclaves qui ont réussi à fuir les plantations parviennent parfois à se regrouper et fondent des « contre-sociétés » mais leur survie est précaire.
Certaines révoltes aboutissent (comme celle de Toussaint Louverture (1794) à Saint-Domingue ou celle de Zumbi de la Palmas (1670) au Brésil). Mais dans l’ensemble, il faut attendre la fin légale de l’esclavage pour que les Noirs recouvrent pleinement leur liberté.
Est-ce la négation absolue des droits les plus élémentaires de l’esclave qui a, par contraste, poussé les philosophes à s’interroger sur la nature profonde de l’être humain ?
Au XVIIIe siècle, alors que la traite bat son plein partout en Europe, les philosophes mettent en lumière les valeurs de liberté, d’égalité entre les hommes et d’universalité du genre humain. La notion « d’individu », qui ne peut s’accomplir que libre, autonome et responsable, émerge. Hume, Locke, Kant, Diderot, Voltaire, Montesquieu, Rousseau… en dépit de leurs divergences, partagent tous une haute idée de l’homme et de sa dignité.
Comment expliquer alors que les condamnations furent si peu nombreuses, timides voire même absentes des écrits de ces grands auteurs, qui parfois même le justifièrent ? Quelques lignes chez Montesquieu (De l’esclavage des Nègres, 1721) et Voltaire (Candide, 1759), évocation prudente dans l’Encyclopédie, propos ambivalents chez Rousseau (Discours sur l’inégalité, 1755),… Les raisons de ce « silence » sur l’esclavage sont de plusieurs ordres.
– La persistance, chez certains philosophes, des idées de l’Antiquité, qui considéraient que l’esclavage était nécessaire et une « condition naturelle » pour certains individus. Un argument repris par la Constitution de la toute jeune
« Caroline » éditée en 1669 qui mentionne l’esclavage comme une « institution nécessaire » et qui a pourtant été relue par Locke, l’un des précurseurs des Lumières et auteur d’une lettre sur la tolérance, restée fameuse.
À tous ces arguments, l’on pourrait ajouter que ce n’est pas seulement l’esclavage qui posait un problème. C’est la figure du « Nègre ». Et cela ne concernait pas seulement les philosophes, mais la société tout entière.
L’époque est au « naturalisme ». Scientifiques, entomologistes, biologistes, embarquent aux côtés des explorateurs et des marchands pour inventorier espèces animales, végétales, minérales… On scrute, on classe, on note, on répertorie. C’est sur la base de ces observations, qui se poursuivront tout au long du XIXe siècle, que Charles Darwin proposera sa « théorie de l’évolution et des espèces ». Les « différences » entre « Blancs » et « Noirs » soulèvent des questions et mettent en doute l’humanité de ces hommes que l’on considère plus proches de l’animal. Les Noirs sont-ils vraiment humains ? D’où viennent-ils ? Ces interrogations seront reprises par les théories racistes au XIXe siècle, qui tenteront d’établir « scientifiquement » la supériorité de l’homme blanc sur l’homme noir en Occident, la supériorité des Japonais sur les autres populations en Asie. Pour l’heure, l’homme noir reste un être indistinct qu’il est préférable de maintenir dans des chaînes.
Ces vues sont relayées par le mépris qu’affiche l’Europe pour ceux qu’elle a vaincus et colonisés. L’esclave n’est pas une figure, c’est tout juste un « figurant » de l’histoire. Témoin de ce mépris, l’emploi du mot « nègre » qui se généralise au XVIIIe siècle. Plus intéressante sera jugée la figure de l’Indien qui alimentera les débats sur la nature du « bon sauvage » et les possibilités « inné/acquis » de l’homme. Un débat qui alimentera la pensée occidentale jusqu’au XXe siècle, jusqu’à ce que Lévi-Strauss montre qu’il n’y a pas d’opposition franche entre Nature et Culture et que la diversité humaine est consubstantielle à l’humanité. Poursuivant sa démarche, il démontrera que l’Occident, qui se croit supérieur par sa technique et sa pensée scientifique, ignore en fait que, sur la base de même facultés cognitives, l’homme est capable de développer mille manières de penser et de vivre, toutes aussi valables les unes que les autres (Tristes Tropiques et La Pensée sauvage). Mais pour l’heure, l’Européen tire un fort sentiment de supériorité des acquis de sa « civilisation ».
A tout cela, il faut peut-être ajouter la persistance de certaines idées et vues religieuses sur la couleur de peau qui voyaient dans le teint sombre des Africains un symbole de la noirceur de l’âme et de la méchanceté. D’autant qu’une interprétation un peu forcée d’un passage de la Bible a fait du peuple noir le descendant du Cham, ce fils de Noé condamné par son père à servir ses frères (réf. Genèse). Rien ne dit dans la Bible que Cham était noir de peau. Mais depuis toujours cette interprétation a servi de justification à l’asservissement des Noirs par les chrétiens, comme par les musulmans.
Dans ce contexte, on appréciera d’autant plus les voix des abolitionnistes qui déjà s’élèvent et cherchent les moyens de faire appliquer leurs vues. Néanmoins, les idées des Lumières feront leur chemin : les Révolutions américaine (1776), française (1789) et les courants émancipateurs du siècle suivant en porteront la marque.
Parce qu’elle occupe une place à part dans l’imaginaire des révolutionnaires et dans l’histoire de la France moderne, un chapitre sur la Révolution française s’avérait indispensable.
Portée par la philosophie des Lumières, cet événement a mis fin à la monarchie, et proclamé la « déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». Elle a aboli les privilèges et donné à la France la devise « Liberté, Egalite, Fraternité ». Mais elle n’a accordé aucune attention au sort des esclaves et s’est bien gardée de porter atteinte au système colonial, en dépit des actions menées en son sein par l’abbé Grégoire, un député membre de la Société des amis des Noirs, fervent défenseur de la cause abolitionniste. Il porte notamment devant le parlement une lettre rédigée par Condorcet intitulée, « Au corps électoral, contre l’esclavage des Nègres ».
Lors de la Révolution française, l’abolition de l’esclavage et de la traite est revendiquée par nombre de députés des États généraux, comme l’abbé Grégoire, Lafayette, Condorcet, Marat, La Rochefoucauld ou Mirabeau. Ce débat occupe la scène politique, sans pour autant que soient réellement contestés le principe et le droit de « colonisation ». Sous leur impulsion, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’Homme (août 1789) interdit implicitement l’esclavage. C’est oublier son Préambule, jamais cité, toujours oublié, précisant que la déclaration s’adresse à tous les « membres du corps social » dont ne font pas partie les esclaves. C’est oublier aussi l’article 17 et dernier, qui, disant le caractère sacré de la propriété, maintient implicitement dans « ses droits » le propriétaire de ses biens meubles que sont les esclaves. Quoi qu’il en soit, les principes de 1789 ne sont pas appliqués dans les colonies et le décret du 15 mai 1791 n’accorde la citoyenneté qu’à une infime minorité d’esclaves. Il faut attendre le 4 février 1794 pour que l’Assemblée, par acclamation, abolisse explicitement l’esclavage. Le 22 août 1795, les colonies sont « soumises aux mêmes lois constitutionnelles » que la métropole. Ces réformes républicaines, fondamentales, seront annihilées à l’arrivée de Napoléon Bonaparte au pouvoir.
On a dit, dans le paragraphe précédent, les obstacles à la lutte contre l’esclavage.
500 000 esclaves à Saint-Domingue. 700 000 esclaves à la Martinique et à la Guadeloupe. Une traite française qui est à son apogée entre 1783 et 1793. La France développe intensément ses activités dans les colonies. Elle ambitionne de devenir le pourvoyeur de l’Europe en sucre et café.
C’est par les armes que les révoltés de Saint-Domingue obtiendront leur liberté, et contraindront les députés de la jeune République à proclamer dans la foulée l’abolition de l’esclavage dans toutes les colonies pour calmer les esprits (convention du 4 février 1794).
Saint-Domingue est l’une des trois îles des Antilles françaises, d’une richesse exceptionnelle qui la fit appeler « Perle des Antilles ». D’août 1781 à juin 1794, de nombreuses révoltes éclatent et ensanglantent l’île. En août 1793, Toussaint Louverture, un affranchi devenu propriétaire terrien, s’impose comme chef de la rébellion et prend le contrôle de l’île.
Au lendemain du coup d’État du 9 novembre 1799, l’Empire colonial français subit la pression de « l’ennemi héréditaire » britannique et la Martinique passe sous son autorité. Napoléon Bonaparte rétablit la situation prérévolutionnaire dans la Constitution de décembre 1799. Il exclut ainsi les colonies de la « loi commune » pour les faire revenir sous les « lois d’exception ». Au même moment, Saint-Domingue se libère de l’esclavagisme français. Napoléon Bonaparte décide alors de rétablir l’esclavage (il n’interdira la traite qu’en mars 1815, à quelques semaines du Congrès de Vienne) et remet en vigueur, le 20 mai 1802, le Code Noir. Avec la loi du 3 juillet 1802, il prône l’interdiction aux « hommes de couleur » d’entrer en métropole. Enfin, il engage deux flottes pour rétablir l’ordre en Guadeloupe et à Saint-Domingue. Toussaint Louverture est fait prisonnier et déporté et emprisonné en France dans le Jura, où il mourra de froid et de faim en 1803. Mais, grâce à la résistance farouche des esclaves et des insurgés, cette reconquête coloniale se solde par un échec cuisant à Saint-Domingue, marqué par son accession à l’indépendance, le 1er janvier 1804, sous le nom de République d’Haïti.
Qui prône l’égalité entre les hommes, ne considère pas l’homme noir comme un homme, l’esclavage n’étant pas condamné. En effet, il est inclus dans les droits à la propriété ; les esclaves sont considérés à l’époque comme des biens.
« Grégoire était […] contre l’esclavage ; membre de la Société des Amis Noirs comme Condorcet […], il vota lors de la Convention le décret d’octroi de la citoyenneté aux Juifs, ainsi que le décret abolissant l’esclavage. Par la suite, et après la restauration de l’esclavage par Bonaparte, il poursuivit son travail de propagandiste de l’égalité en droit de tous les hommes. Il publia en 1808 un ouvrage sur les Noirs, De la littérature des Nègres, ou Recherches sur leurs facultés intellectuelles, leurs qualités morales et leur littérature ; suivies de notices sur la vie et les ouvrages de Nègres qui se sont distingués dans les sciences, les lettres et les arts, qu’il adressa à Thomas Jefferson alors que celui-ci remplissait un deuxième mandat de président des Etats-Unis. Et cela lui valut une réponse de Thomas Jefferson qui montre que celui-ci poursuivait avec Grégoire un mouvement intellectuel vers la reconnaissance d’une égalité en capacité de tous les humains, dont il doutait en 1789 dans ses Notes sur la Virginie mais qui avait évolué sous la double influence de Condorcet et de Benjamin Banneker. La rencontre avec cet homme noir, libre, mathématicien, géomètre, l’avait nettement fait évoluer dans le sens d’une affirmation de l’égalité, non seulement en droit mais en compétences, de toutes les races, ce qui se lit notamment dans une lettre de l’auteur de la Déclaration d’indépendance américaine à Condorcet en 1791 »
Extrait de Mes Etoiles Noires, Lilian Thuram, OP. CIT. , p. 279
Toussaint-Louverture est devenu, au fil des siècles, la figure emblématique de la lutte contre l’esclavage et pour l’indépendance coloniale.
Pour comprendre la place de Toussaint, dit plus tard « Louverture » parce qu’à la tête de ses troupes il faisait l’ « ouverture » des combats, il faut se représenter la vie à Saint-Dominique en ces temps-là. Repaire de flibustiers dans les années 1620, partagée entre deux royaumes, la France et l’Espagne, située dans les Antilles, au large des côtes des États-Unis, l’île est progressivement occupée par de nombreux colons qui développent une économie forte grâce à l’exploitation d’esclaves noirs, venus eux-mêmes remplacer les Amérindiens et les engagés blancs. La partie française de l’île est prospère et, au moment de la Révolution, produit un tiers des importations de la métropole. Cette partie deviendra, sous le nom d’Haïti, en 1804, la première république indépendante dirigée par des Noirs.
Écoutons Toussaint-Louverture :
« Frères et amis, je suis Toussaint-Louverture ; mon nom s’est peut être fait connaître jusqu’à vous. J’ai entrepris la vengeance de ma race. Je veux que la liberté et l’égalité règnent à Saint-Dominique. Je travaille à les faire exister. Unissez-vous, frères, et combattez avec moi pour la même cause.
Déracinez avec moi l’arbre de l’esclave. »
« En me renversant, on n’a abattu à Saint-Dominique que le tronc de l’arbre de la liberté des Noirs ; il poussera par les racines, parce qu’elles sont profondes et nombreuses. »
Extrait de Mes Etoiles Noires, Lilian Thuram, OP . CIT . p. 69
Définition du mot “Nègre” dans l’Encyclopédie de Diderot
« S. m. (Hist. nat.) homme qui habite différentes parties de la terre. Depuis le tropique du cancer jusqu’à celui du capricorne, l’Afrique n’a que des habitants noirs. Non seulement leur couleur les distingue, mais ils diffèrent des autres hommes par tous les traits de leur visage, des nez larges & plats, de grosses lèvres, & de la laine au lieu de cheveux, paraissent constituer une nouvelle espèce d’hommes. »
Même si l’Encyclopédie, dans son article sur la “Traite des nègres”, condamne la traite, cette définition du “Nègre” dans le monument des Lumières que représente L’Encyclopédie révèle combien ces philosophes étaient imprégnés des préjugés de leur époque.
Follow the Drinking Gourd
Parmi bien d’autres, le chant négro-spiritual Follow the Drinking Gourd (Suivez la gourde) cachait une explication destinée aux esclaves sur l’itinéraire à suivre. Ces songslines ou « itinéraires chantés » leur offraient des cartes d’évasion très précises.
When the sun comes back
Quand le soleil revient
And the first quail calls,
et que tu entends les premières cailles [oiseaux migrateurs qui passent l’hiver dans le Sud]
Follow the Drinking Gourd
Suit la Gourde [la Grande Ourse]
For the old man is waiting
Le vieil homme [quelqu’un ] t’attend
for to carry you to freedom, If you follow the Drinking Gourd.
qui t’escortera vers la liberté Si tu suis la Gourde
The river bank will make a very good road,
Les berges de la rivière [Tombigbee] sont un très bon chemin,
The dead tress show you the way,
Les arbres morts t’indiqueront la voie,
Left foot, peg foot, traveling on
Ils portent le dessin d’un pied gauche et d’un pillon
Follow the Drinking Gourd…
Suis la Gourde
Pendant une dizaine d’années, Harriet Tubman accomplit dix-neuf voyages dans le Sud et escorte plus de trois cents esclaves vers les États libres ou le Canada. Et – elle aimait à la répéter – sans jamais perdre un seul passager!
Extrait de Mes Etoiles Noires, Lilian Thuram, OP. CIT. p. 136
Établi par ordre du grand Colbert afin, précise-t-il, que la production et le commerce atteignent aux Îles le meilleur rendement possible, le Code noir est promulgué par Louis XIV en mars 1685. En 60 articles, il règle la vie des esclaves noirs aux Antilles dans les domaines religieux, civil, pénal, économique. D’autres dispositions de Versailles s’ajouteront au fil des années à ce socle juridique, qui sera durci au XVIIIe siècle au « bénéfice » des esclaves noirs de la Louisiane et des Iles Bourbon.
D’entrée de jeu, l’esclave n’y est pas considéré comme sujet du roi, mais comme propriété du maître. S’il est susceptible de salut ou de damnation après la mort – il a une âme, l’Église y tient et s’en contente-, il est assimilé à tous effets juridiques et mercantiles aux biens meubles, dont le propriétaire dispose selon les us et coutumes du royaume.
Le Code noir prévoit baptême –obligatoire-, mariage -uniquement avec l’accord des maîtres-, enterrement -loin des cimetières des Blancs- ; prescrit rations alimentaires –un minimum de subsistance-, déplacements- interdits sauf autorisation précise du maître-, modalités d’achat et de vente –pas de marché aux esclaves les dimanches et les jours de fêtes religieuses… ; énumère les châtiments infligés aux esclaves noirs en cas de désobéissance, de fuite (marronnage), de vol, de gestes d’arrogance. La peine de mort est monnaie courante.
La flagellation, la marque au fer rouge, l’exposition au pilori, l’amputation rythment le quotidien. N’étant personne, l’esclave ne saurait rien posséder. Et au Code noir de préciser que s’il arrive tout de même à l’esclave d’avoir un bien quelconque, celui-ci appartient de fait à son maître : logique, un « bien meuble » ne saurait posséder quoi que ce fût.
L’enfant né de mère esclave appartient au maître de la mère. Affranchi – cela arrive-, le Code stipule que le moindre écart du chanceux envers ses anciens maîtres, leurs veuves ou leurs enfants sera puni avec une rigueur singulière.
Une légende paresseusement colportée par des historiens français prétend que Colbert et Louis XIV promulguèrent le Code noir pour adoucir autant que possible le sort des esclaves, livrés jusqu’alors aux caprices de la violence des maîtres. Certes, Versailles chiffre les coups de fouet ou le nombre d’amputations, interdit la castration ou l’arrachement de l’enfant à sa mère selon les aléas du marché…Seul et unique souci mille fois explicité dans les textes : la rentabilité. Définitivement aboli en 1848 aux aurores de la IIe République, ce Code, monstrueusement exemplaire, aura avili et chosifié, rejeté juridiquement hors humanité l’esclave noir plus d’un siècle et demi durant avec une parenthèse de huit ans : entre 1794 où, conséquence de la révolte d’Haïti, la Convention abolit l’esclavage et 1802, où Napoléon le rétablit. Les autres nations chrétiennes (le Portugal, l’Espagne l’Angleterre etc.) codifièrent aussi vie et mort de leurs esclaves.
Une autre légende prétend que la France a été la première des nations à abolir l’esclavage des Noirs dans ses colonies. C’est faux, d’autres nations l’ont précédée. Il est vrai, en revanche, que la France a été la seule à le rétablir après l’avoir aboli. La seule donc à l’avoir établi deux fois : en 1685 sous le Roi Soleil et en 1802, sous Napoléon.
(Source : Louis Sala Molins – Professeur émérite de philosophie politique à l’Université de Paris I et de Toulouse II.)
« Noé fut le premier cultivateur à planter de la vigne.
21 Il but du vin, s’enivra et se déshabilla complètement à l’intérieur de sa tente.
22 Cham, père de Canaan, vit son père tout nu et en avertit ses deux frères, qui étaient dehors.
23 Alors Sem et Japhet prirent un manteau, le placèrent sur leurs épaules, entrèrent à reculons dans la tente et couvrirent leur père. Ils regardaient dans la direction opposée, pour ne pas voir leur père tout nu.
24 Quand Noé fut sorti de son ivresse, il apprit ce que lui avait fait son plus jeune fils.
25 Alors il déclara : « Maudit soit Canaan ! Qu’il soit pour ses frères le dernier des esclaves ! »
26 Puis il ajouta : « Béni soit le Seigneur, le Dieu de Sem ! Que Canaan soit l’esclave de Sem !
27 Que Dieu mette Japhet au large, mais qu’il ait sa demeure chez Sem, et que Canaan soit l’esclave de Japhet ! »
« Il n’ y a point de voyageur instruit qui, en passant par Leyde, n’ait vu la partie du reticulum mucosum d’un nègre disséqué par le célèbre Ruysch. Tout le reste de cette membrane est dans le cabinet des raretés à Pétersbourg. Cette membrane est noire, et c’est elle qui communique aux nègres cette noirceur inhérente qu’ils ne perdent que dans les maladies qui peuvent déchirer ce tissu, et permettre à la graisse échappée de ses cellules de faires des taches blanches sous la peau. Leurs yeux, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses ; et ce qui démontre qu’ils ne doivent point cette différence à leur climat, c’est que des nègres etdes négresses, transportés dans les pays les plus froids, y produisent des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu’une race bâtarde d’un noir et d’une blanche, ou d’un blanc et d’une noire, comme les ânesspécifiquement différents des chevaux produisent des mulets par l’accouplement avec des cavales.»
« Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclaves, voici ce que je dirais :Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage ceux de l’Afrique pour s’en servir à défricher tant de terres. Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout bonne, dans un corps tout noir. Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité, que les peuples d’Asie qui font des eunuques, privent toujours les noirs du rapport qu’ils ont avec nous d’une façon plus marquée. On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence qu’ils faisaient mourir tous les hommes roux qui leurtombaient entre les mains. Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence. Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes pas nous-mêmes chrétiens. De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et de la pitié ? ».